Faut-il donner davantage d’autonomie aux établissements scolaires ?

Education : Faut-il donner davantage d’autonomie aux établissements scolaires ?

DEBATC’est ce que préconise une étude de la Cour des comptes publiée ce mardi
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • La Cour des comptes préconise davantage d’autonomie pour les établissements, afin d’accroître l’efficacité du système éducatif.
  • Un point de vue qui rejoint celui du gouvernement, qui a adopté plusieurs dispositifs allant dans le sens de davantage de prérogatives pour les chefs d’établissement.
  • Ce qui ne plaît guère aux syndicats d’enseignants, qui craignent une forme de dérégulation de l’Education nationale.

La France dépense plus pour l’éducation que la moyenne des pays de l’OCDE . Et pourtant, les résultats scolaires de ses élèves ont tendance à se dégrader, en particulier pour les jeunes issus des milieux défavorisés. C’est le constat sévère établi par la Cour des comptes dans une étude baptisée Une école plus efficacement organisée au service des élèves et publiée ce mardi. Car si l’éducation reste le premier poste de dépense de l’Etat (110 milliards d’euros en 2020), « 40 % des élèves en fin de primaire ne possèdent pas les connaissances fondamentales en lecture et en maths qui leur permettraient de suivre une scolarité au collège dans les bonnes conditions », souligne la Cour. Et en 2018, 12 % des élèves sont sortis du secondaire sans diplôme (CAP, BEP, Bac).

Un constat que la Cour des comptes explique par différentes raisons, dont « un système beaucoup trop centralisé », qui ne permet pas d’adapter les dispositifs éducatifs aux réalités locales. « Seulement 10 % des décisions prises en matière éducative le sont au niveau des établissements, dont à peine 2 % en autonomie totale », relèvent les Sages. D’où leur recommandation d’accorder davantage d’autonomie aux établissements, ce qu’ils estiment être un levier important d’efficacité.

Davantage de liberté dans les recrutements

Cette autonomie, selon les Sages, permettrait à chaque école, collège ou lycée d’avoir un projet pédagogique d’établissement et de renforcer le travail collectif des enseignants autour de lui. Elle passerait par une évolution de la fonction de chef d’établissement : « Il faudrait basculer du gestionnaire à l’animateur d’équipe », estime l’institution. Cette évolution lui permettrait d’avoir davantage la main sur les recrutements, comme l’explique la Cour : « Dans la plupart des pays de l’OCDE, les recrutements d’enseignants sont locaux. La Cour ne souhaite pas remettre totalement en cause le recrutement national des enseignants, mais pense qu’il faut ouvrir davantage de postes à profils ». C’est-à-dire des postes qui requièrent des compétences particulières, auxquels les profs peuvent postuler sans avoir besoin de justifier d’une certaine ancienneté dans le métier.

Des préconisations qui vont dans le même sens que certaines des mesures adoptées sous le quinquennat Macron. Hasard du calendrier, le Parlement a adopté définitivement lundi soir la proposition de loi de la députée LREM Cécile Rilhac qui crée la fonction de directeur d’école dans le primaire. Ce texte prévoit que les directeurs d’école reçoivent une indemnité de direction spécifique et bénéficient d’un avancement accéléré, ainsi que d’une décharge totale ou partielle d’enseignement en fonction du nombre de classes et des spécificités de l’école. Une disposition introduite par le Sénat organise le principe d’une « autorité fonctionnelle des directeurs d’école », c’est-à-dire la possibilité pour eux d’être décisionnaires sur davantage de sujets relatifs au fonctionnement de l’école.

Macron et Pécresse à l’unisson sur le sujet

Lors de sa visite à Marseille le 2 septembre, Emmanuel Macron a aussi annoncé une expérimentation au sein de 50 « écoles laboratoires ». Dans celles-ci, le directeur pourra « choisir l’équipe pédagogique », selon les mots du président. Et ce dès la prochaine rentrée scolaire. Par ailleurs, toujours à partir de la rentrée prochaine, les enseignants du 1er et du 2nd degré vont pouvoir postuler à des postes à profil (surnommés PoP par l’Education nationale). Parmi eux, ingénierie informatique, BTS mode, horticulture ou encore peinture revêtement. Mais pour la première année, il y en aura très peu : 250 postes de ce type seront ouverts dans le premier degré. Et dans le secondaire, « le nombre de postes proposés est en adéquation avec le principe d’une expérimentation », dixit le ministère. Difficile de faire plus flou.

Emmanuel Macron n’est pas le seul dans la classe politique à promouvoir l’autonomie des établissements. La candidate LR à la présidentielle, Valérie Pécresse, souhaite aussi plus « d’autonomie » pour les établissements scolaires, en créant « un nouveau type d’école publique sous contrat, sur le modèle des charter schools » américaines, ce qui permettra par ailleurs de « mieux rémunérer les enseignants », a-t-elle déclaré en octobre au Figaro.

Les syndicats d’enseignants vent debout

Mais sur le terrain, l’idée ne séduit guère. La création de directeur d’école fait déjà grincer des dents. Le SNUipp refuse un statut « conférant à la direction un statut et un rôle hiérarchique relevant d’une conception managériale » et souhaite que le supérieur hiérarchique des enseignants demeure l’inspecteur de l’Éducation nationale de la circonscription. « L’autorité fonctionnelle peut aller très loin, y compris dans certains cas jusqu’à octroyer la capacité de prendre des sanctions disciplinaires », estime aussi le Snalc.

L’expérimentation marseillaise ne séduit pas non plus des masses. En septembre, 40 écoles ont d’ailleurs signé un appel au boycott de cette expérimentation, en critiquant notamment la possibilité le choix des enseignants par le directeur d’école : « Cela inféoderait tout au long de leur carrière les enseignants à des entretiens d’embauche, contribuant à les museler pour rester "recrutables" à leur prochaine mutation », souligne le texte. « En Suède, la libéralisation de l’École sur ce modèle a conduit à un effondrement de la qualité du système éducatif. C’est enfin évidemment un pas important vers la privatisation de l’Éducation nationale et vers la casse du statut de fonctionnaire », poursuit-il. Une chose est sûre : l’autonomie des établissements fera forcément l’objet de débats électoraux. Et ils seront houleux.