Coronavirus : Pourquoi réinstaurer le télétravail massif pour freiner l’épidémie ne coulerait pas de source
ENTREPRISE•Un Conseil de défense sanitaire est prévu ce mercredi pour répondre à la nouvelle flambée des cas de Covid-19Delphine Bancaud
L'essentiel
- La France est désormais confrontée à une cinquième vague de Covid-19.
- Le gouvernement pourrait annoncer mercredi des mesures pour tenter d’endiguer ce rebond de l’épidémie. Et parmi les outils à disposition, figure le retour du télétravail massif.
- Mais si ce système a fait ses preuves, il a aussi de nombreuses limites. Pour les entreprises comme pour les salariés.
Quelles mesures pourraient freiner l’accélération de l’épidémie de Covid-19 ? C’est à cette question que répondra le Conseil de défense ce mercredi. Dans la boîte à outils figure un recours plus massif au télétravail, qui est d’ailleurs préconisé dans le dernier avis du Conseil scientifique.
D’autant que la mesure a déjà fait ses preuves, notamment il y a un an, où la brusque flambée de l’épidémie avait contraint le gouvernement à confiner le pays dès le 30 octobre et à imposer le télétravail à 100 % partout où cela était possible. Et ces dernières semaines, plusieurs de vos voisins européens ont actionné la mesure : en Belgique, le télétravail est rendu obligatoire quatre jours par semaine pour au moins trois semaines ; en Allemagne, son retour massif est demandé. Et en Autriche, il est fortement recommandé.
Les entreprises et gouvernement sur la même ligne
Pour l’heure, le gouvernement semble réticent à l’idée de durcir les règles. Lors d’une visite au siège de L’Oréal à Clichy (Hauts-de-Seine) lundi, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, a indiqué qu’il n’était pas possible « d’exclure par principe des réponses pour la suite » en matière d’incitation généralisée au télétravail. Mais elle a préféré appeler les entreprises à se « remobiliser » sur le respect des gestes barrières. Même son de cloche au Medef. Son président, Geoffroy Roux de Bézieux, a déclaré mardi sur BFMTV être opposé à l’obligation du télétravail. Il a aussi estimé que la décision prise par la Belgique sur le sujet « était une erreur ».
Un attentisme qui s’explique d’abord par le contexte actuel de reprise économique. « Comme on l’a vu lors des vagues précédentes, le télétravail massif a un impact sur les commerces, les restaurants, les entreprises de transport, dont l’activité dépend des salariés qui viennent au bureau. Toutes ces entreprises ont bien redémarré depuis la rentrée et l’on imagine difficilement comment elles pourraient encaisser un nouveau coup de frein », indique Christophe Platet, Fondateur du cabinet conseil en management Lundano.
Les salariés pas prêts à retourner bosser à 100 % chez eux
Quant aux entreprises qui devraient demander à leurs collaborateurs de rester chez eux, elles craignent qu’un changement d’organisation ne vienne perturber ce regain d’activité pour elles. « Nous ne sommes pour l’heure pas favorables à un recours massif au télétravail, qui aurait un impact sur le management et le lien collectif », explique à 20 Minutes Audrey Richard, présidente de l’association nationale des DRH (ANDRH). Selon Caroline del Torchio, autrice * et consultante en management, le télétravail a aussi montré ses limites depuis un an et demi : « Les entreprises ont géré l’opérationnel à distance, la continuité d’activité a été assurée. Mais le travail créatif et la réflexion stratégique ne se font pas en distanciel. Par ailleurs, le sentiment d’appartenance collectif a diminué, ce qui a joué sur la motivation. D’où un turn-over plus important et qui coûte cher aux entreprises ».
L’autre frein concerne l’impact qu’il pourrait avoir sur les salariés. Car depuis le 9 juin, les règles étant assouplies, les entreprises ont pu faire revenir leurs salariés au bureau plusieurs jours par semaine. « La majorité des collaborateurs étaient ravis de revenir. Ils ont retrouvé le plaisir de travailler ensemble, de bénéficier de l’œil bienveillant d’un collègue, de moments de convivialité… Et ils apprécient le mode hybride. Un retour au « full télétravail » risque d’être difficile à accepter », estime Audrey Richard.
« Certains ne savent pas bien télétravailler car ils ne bénéficient pas de bonnes conditions chez eux ou parce qu’ils ont besoin d’un écosystème pour être efficaces », observe aussi Christophe Platet. Sans compter les risques sur la santé que peuvent faire courir le travail complet à domicile : « En télétravail généralisé, l’hyperconnexion, la visionite aiguë et les reportings plus fréquents ont un impact sur le bien-être physique et mental », souligne Caroline del Torchio.
Le risque de raviver les rivalités
Les entreprises témoignent aussi du fait qu’un petit nombre de collaborateurs ont eu du mal à revenir en présentiel. « Certains avaient peur car ils craignaient d’être contaminés, d’autres avaient trouvé un nouvel équilibre et ne voulaient pas revenir en arrière. Enfin, certains avaient déménagé loin du bureau pour avoir plus d’espace », explique Audrey Richard, Renvoyer à la maison ceux qu’on a eu tant de mal à convaincre de revenir poserait donc problème, selon Christophe Platet : « Il est impossible de leur jurer que c’est la dernière fois qu’ils devront changer d’organisation. Ces aléas sont compliqués à gérer car chacun de nous a besoin de se projeter ».
Réimposer le télétravail serait aussi le risque de raviver le sentiment d’inégalité qu’ont ressenti certains salariés dont le poste n’est pas faisable à distance. Geoffroy Roux de Bézieux décrit ainsi « un sentiment d’incompréhension et de frustration ». D’autant que ces salariés, souvent appelés « premiers de cordées » lors du premier confinement, n’ont pas toujours bénéficié de revalorisation salariale depuis…