TEMOIGNAGE« J'ai peur de tout perdre... » Ruby, apprentie menacée d'expulsion

Mineurs isolés : « J’ai peur de tout perdre… » Ruby, apprentie menacée d’expulsion

TEMOIGNAGEPrise en charge par l’Aide sociale à l’enfance à son arrivée en France à l’âge de 15 ans, Ruby est aujourd’hui visée par une obligation de quitter le territoire (OQTF)
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • En janvier 2021, la grève de la faim d'un boulanger de Besançon pour protester contre la menace d’expulsion visant l’un de ses apprentis a relancé le débat autour de la protection des jeunes migrants isolés.
  • Une situation rencontrée également par Ruby, scolarisée et formée en France depuis ses 15 ans et désormais sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Une pétition de soutien, lancée le 9 octobre, a d'ores et déjà recueilli plus de 14.000 signatures.
  • La jeune femme a accepté de témoigner auprès de 20 Minutes.

Quand Ruby* a parcouru pour la première fois la lettre de la préfecture, la jeune femme de 19 ans, née en République démocratique du Congo, « n’a pas compris ». Depuis son arrivée en France en 2017 à l’âge de 15 ans, la signification des lettres « OQTF » – pour « obligation de quitter le territoire français » – lui était inconnue. Mais le 20 septembre dernier, le couperet est tombé. Sa demande de titre de séjour a été rejetée, elle dispose de 30 jours pour quitter le pays. En comprenant « la gravité » de la situation, Ruby est « tombée des nues », confie-t-elle à 20 Minutes.

Pour la préfecture, l’acte de naissance fournie par la jeune femme est un faux, faute de légalisation du document par les autorités. Un défaut d’état civil « incompréhensible » pour la jeune apprentie, qui a pourtant obtenu un passeport congolais quelques mois après sa majorité et après des démarches entreprises auprès de son ambassade à Paris. Insérée, scolarisée en France et en parcours de formation, Ruby dit avoir « peur de tout perdre ». Réfutant l’argument du « cas particulier », certains élus et associations voient dans le parcours de Ruby, l’expression d’une politique migratoire « kafkaïenne » pour les mineurs isolés.

« Je fais de mon mieux pour avoir une meilleure vie »

Depuis la notification de son OQTF, la vie de Ruby est à l’arrêt. Apprentie dans une grande entreprise de BTP francilienne, la jeune Congolaise ne peut ni suivre ses cours ni se rendre à son travail. L’avenir de son BTS en « gestion des petites et moyennes entreprises » est suspendu au recours en référé déposé il y a quelques jours par le biais de son avocate. Déterminée, Ruby dit aussi sa fatigue, lasse des « épreuves » qui se sont imposées à elle depuis son adolescence. L’arrivée brutale en région parisienne sans repères familiaux, la nuit à la rue, les changements de foyers en foyers et le traumatisme de la mort de son père, assassiné au Congo. Un quotidien qu'elle a décidé, en 2019, de coucher à l'écrit et qui devrait être publié d'ici quelques mois.

« Je fais de mon mieux pour avoir une meilleure vie. J’ai suivi mes études, j’ai réussi à trouver un travail, j’ai toujours fait les choses de moi-même », souffle la jeune femme. Ce sentiment de « gâchis », Ruby n’est pas la seule à l’exprimer. Raphaëlle*, son éducatrice dit, elle aussi, son amertume : « On nous demande de travailler l’insertion de ces mineurs, ils doivent être constamment dans les clous et on est intransigeant avec eux. Et une fois leur majorité atteinte, on les renvoie dans leur pays d’origine ? C’est ridicule. Je n’ai pas choisi de faire ce métier pour ça. »

Une proposition de loi rejetée

Un gâchis humain mais aussi financier, souligne le sénateur socialiste Jérôme Durain. Interpellé au début de l’année 2021 par le parcours de Laye Fodé Traoré, un apprenti boulanger à Besançon menacé d’expulsion, l’élu plaide depuis pour une modification de la loi. « Le système actuel fait du mal à tout le monde. La prise en charge d’un mineur non accompagné, ça représente plusieurs dizaines de milliers d’euros par an pour les départements. On investit sur ces gamins qui arrivent sur le territoire national, apprennent notre langue, se forment à un métier dans des secteurs parfois très tendus et à leurs 18 ans, on les dégage ? Ce n’est pas normal », s’insurge-t-il. Pour « changer les choses », l’élu de Saône-et-Loire a déposé une proposition de loi débattue mercredi 13 octobre au Sénat et visant à « sécuriser » le parcours de ces jeunes migrants.

Jérôme Durain proposait de délivrer une carte de séjour temporaire pour tous les jeunes étrangers pris en charge par l’ASE, une fois leur majorité atteinte, si ces derniers suivent une formation ou un cursus étudiant depuis au moins six mois. Selon lui, la délivrance d’un titre de séjour à ces anciens mineurs non accompagnés est trop souvent soumise au bon vouloir des préfectures. Mais son texte, rejeté en commission, l’a également été lors de son examen en séance, la majorité sénatoriale de droite estimant qu’une telle mesure risquait de créer un « appel d’air ». Présente lors des débats, la ministre déléguée à la citoyenneté, Marlène Schiappa a pointé de son côté des cas « minoritaires » en indiquant que près de 93 % de demandes de titre de séjour pour des mineurs non accompagnés étaient acceptées. La ministre a toutefois reconnu des « situations non couvertes » et des traitements différenciés d’une préfecture à l’autre.

Une mobilisation citoyenne

Face à ce statu quo politique, les jeunes migrants dans l’impasse peuvent compter sur le poids de la mobilisation citoyenne. Comme l’apprenti boulanger de Besançon, Ruby est épaulée par un collectif à l’origine d’une pétition. Lancé le 9 octobre sur le site Change.org, le texte de soutien a d’ores et déjà recueilli plus de 14.000 signatures dont celles de plusieurs personnalités comme Lilian Thuram ou l’actrice Marina Foïs.

L’entourage proche de la jeune femme s’est également mis en ordre de bataille : « Mon tuteur d’apprentissage m’a soutenue. Il a signé la pétition, l’a partagée et le directeur du campus où je suis mon BTS a pris le temps de m’appeler pour savoir comment j’allais, je me sens soutenue. » Si l’avenir de Ruby est désormais suspendu au recours déposé devant la justice, la perspective d’un retour en RDC reste « inconcevable » : « Je ne sais même plus à quoi ressemble Kinshasa. Qu’est-ce que j’irai faire là-bas ? Mon père est mort, je n’ai plus de famille proche […]. Si je suis partie du Congo, ce n’est pas pour y retourner. »

* Les prénoms ont été modifiés