Nantes : « Retours positifs », « galère »… Quel bilan pour l'interdiction des livraisons à scooters ?
RESTAURANTS•Depuis six mois, les livreurs à scooters ne sont plus tolérés dans l'aire piétonne, où se trouvent la majorité des restos. La mairie voulait réduire les nuisances sonores et les risques de collisionFrédéric Brenon
L'essentiel
- Depuis mars 2021, seuls les vélos et scooters électriques sont autorisés dans les rues piétonnes.
- Les livreurs à scooter doivent garer leur véhicule hors de la zone et poursuivre à pied.
- Inquiets, ils avaient manifesté contre cette interdiction municipale.
C’était il y a six mois. La mairie de Nantes décidait d’interdire les livraisons à scooters dans l’aire piétonne du centre-ville afin de lutter contre les « nuisances » et renforcer la « sécurité routière ». La mesure, imposée alors que les restaurants n’étaient à l’époque autorisés qu’à proposer des plats à emporter, déclenchait la colère de livreurs incités par les plateformes (Uber Eats, Deliveroo) à travailler toujours plus vite. Ces autoentrepreneurs peu fortunés avaient même entrepris quelques manifestations pour obtenir un assouplissement de l’arrêté municipal, en vain. « Il fallait intervenir, se souvient Thibaut Guiné, conseiller municipal en charge de la logistique urbaine. En un an à peine, les scooters avaient massivement remplacé les vélos. On avait de nombreuses remontées de mécontentement de piétons, de riverains et des commerçants. »
Et aujourd'hui, quel est le bilan ? « Les retours sont plus que positifs », affirme la ville, considérant que la « diminution des flux » de scooters est « extrêmement significative ». « On voit bien que les livreurs travaillant à scooter sont désormais à pied dans l’aire piétonne, estime Thibaut Guiné. Certains continuent d’y rouler, mais c’est marginal. Les points d’attente ont également été dispatchés en plusieurs endroits. On constate aussi que les vélos sont de retour pour les livraisons. C’est bon signe. »
« On travaille moins donc on gagne moins »
Corinne Rotach, habitante du centre-ville et membre de l’association Ras le scoot, confirme. « Ça va mieux, il y a clairement moins de passages, évalue-t-elle. On voit en effet des livreurs à pied, ce qui n’arrivait jamais avant. » Mais, nuance-t-elle, « on en croise toujours circulant à scooter, certains continuent même de se stationner juste devant le restaurant, surtout aux heures des repas. J’en ai parlé à certains restaurateurs mais ils ferment les yeux ».
Les livreurs ne font pas la même analyse de la situation. Beaucoup décrivent « une baisse de chiffre d’affaires » et une « plus grande fatigue physique » depuis l’interdiction municipale. En attente dans le bas de la rue Jean-Jacques Rousseau, Lassana, par exemple, a choisi de conserver son scooter. « Je suis obligé de le garer là et de continuer à pied en portant des commandes de 6 kg, parfois 8 kg. Souvent je cours pour ne pas être en retard. C’est devenu la galère ! On travaille moins qu’avant donc on gagne moins d’argent. » A ses côtés, un autre livreur affublé d’une sacoche Deliveroo souligne que « la ville est trop grande pour le vélo ». « Quand on a une livraison à Orvault, ce n’est possible autrement qu’à scooter, insiste-t-il. Et il faut maintenant faire un détour pour ne pas traverser la zone interdite. Donc on perd du temps. »
« Tout le monde va devoir s’adapter »
Livreur pour Uber Eats, Mathieu s’est toujours déplacé à vélo. « L’interdiction de la ville a été soudaine. Les livreurs n’ont pas eu le temps de s’adapter. Beaucoup ont lâché le centre-ville par peur des amendes qui sont quand même extrêmement dissuasives [135 euros]. Certains sont passés au vélo électrique, mais ce n’est pas donné. Ils se débrouillent en se procurant des kits sur Internet. » A quelques encablures de là, Simon enfourche son scooter au beau milieu d’une rue piétonne. Il n’est pas hors la loi car il circule en moteur électrique, autorisé, contrairement aux thermiques. « C’est l’idéal. On peut évidemment répondre à plus de commandes qu’avec un vélo », explique-t-il, tout en reconnaissant qu’il a « désormais moins de concurrence dans les restos du centre-ville ».
A la mairie de Nantes, l’élu en charge de la logistique urbaine, se dit « préoccupé » par les conditions de travail de la majorité des livreurs. « Le problème est celui du modèle social imposé par les plateformes, considère Thibaut Guiné. C’est un sujet complexe, la collectivité ne peut pas tout faire. On espère que cette mesure d’interdiction participera à faire basculer les modèles vers des situations plus justes. Il y a déjà des modifications qui s’opèrent : la plateforme Just Eat a fait le choix du tout vélo avec des vrais contrats de travail, Naofood [livraisons à vélo] s’est développé… Tout le monde va devoir s’adapter. »