Pass sanitaire : Vers un casse-tête pour les employeurs ?
CODE DU TRAVAIL•A partir du 30 août, les salariés en contact avec le public devront présenter un pass sanitaire valide pour travaillerRachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- Après validation par le Conseil constitutionnel, la loi sur l’extension du pass sanitaire a été promulguée.
- Elle concernera les salariés et salariées en contact avec le public à partir du 30 août.
- « 20 Minutes » a demandé à une avocate en droit du travail comment les employeurs et employeuses vont pouvoir appliquer ces nouvelles règles.
La rentrée sera scannée de près, au travail. Dans les entreprises recevant du public, les personnes en contact avec celui-ci devront présenter un pass sanitaire valable, à partir du 30 août. La loi est non seulement votée mais désormais validée par le Conseil constitutionnel. Qu’est-ce que cela va changer côté employeur et employeuses ? Doivent-elles se préparer à un casse-tête administratif ? 20 Minutes fait le point.
L’employeur est-il obligé de suspendre un salarié sans pass ?
Un peu comme pour un patron de bar réfractaire au pass sanitaire pour ses clients, celui-ci n’a pas le choix non plus pour ses employés et employées : il doit faire respecter la loi. Dans le cas contraire, des amendes peuvent tomber, exactement comme pour le non-respect du contrôle des pass sur sa terrasse, par exemple. « Il y aura des contrôles où on vous demandera de prouver que vous avez bien scanné vos salariés », explique à 20 Minutes Diane Reboursier, avocate en droit du travail au cabinet August Debouzy.
En conséquence, si lors du scan un ou une des employées n’a pas de pass sanitaire valide, l’employeur ou l’employeuse devra se passer de ses services au moins de façon provisoire : le temps que la situation rentre dans l’ordre et qu’un pass sanitaire valide soit obtenu, en posant des congés, ou bien le temps d’une suspension du contrat de travail, comme le prévoit la loi votée fin juillet et validée jeudi par le Conseil constitutionnel.
Quelles formalités avant une suspension ?
« Il y a pas mal de démarches », note Diane Reboursier. Tout commence par un courrier que l’employeur ou l’employeuse doit envoyer au contrevenant ou à la contrevenante pour notifier une suspension de trois jours. « L’employeur peut aussi voir si son employé a un reliquat de congés payés ou de RTT, qui peuvent remplacer la suspension. Mais ce n’est pas obligatoire, personne n’est forcé. Et s’il n’y en a pas, ça sera donc une suspension », détaille l’avocate.
A l’issue, si le ou la salariée n’est toujours pas en règle, son ou sa supérieure hiérarchique doit la convoquer à un entretien pour examiner les possibilités de régularisation ou de reclassement dans l’entreprise à un poste où le pass sanitaire n’est pas nécessaire. Si cet entretien est un échec, la suspension se poursuit, dans une limite de deux mois.
L’employeur peut-il se retrouver à licencier contre sa volonté à ses frais ?
C’est peu probable. On a déjà compris qu’un employeur ou une employeuse qui traîne les pieds face au pass sanitaire n’a de toute façon pas le choix, au risque de payer une amende. Il y a en plus peu de chances qu’il ou elle doive se séparer d’un ou une salariée contre sa volonté. D’abord pour une raison de calendrier : « Les salariés ne sont concernés qu’à partir du 30 août, or la période maximale de suspension est de deux mois, ce qui nous amène fin octobre… à deux semaines de la fin de la loi sur le pass sanitaire », détaille Diane Reboursier. De toute façon, « les entreprises hésiteront à se séparer d’un salarié, a fortiori d’un salarié qui par ailleurs donne satisfaction », a expliqué ce vendredi du France Info Patrick Martin, président délégué du Medef.
Sans compter que ne pas avoir de pass sanitaire n’est finalement pas une raison valable de licenciement. Même si la ministre du Travail, Elisabeth Borne, a affirmé qu’il pourrait y avoir des licenciements au bout des deux mois, il faudra quand même trouver une « cause valable et sérieuse », comme l’indique le droit. L’avocate interrogée par 20 Minutes a noté une précision du Conseil constitutionnel passée inaperçue : « Il est bien dit qu’au vu des travaux parlementaires, on ne peut pas licencier faute de pass sanitaire. C’est une manière de signaler que ce ne sont pas les déclarations de la ministre qui comptent, mais le texte. »
Des abus sont-ils possibles ?
« Il y aura forcément des tentatives », imagine Diane Reboursier, mais ça ne devrait être que marginal. Et puis des abus peuvent avoir lieu de part et d’autre. « Le fait est que ce sera très compliqué pour une entreprise (…) d’engager une procédure de licenciement contre un salarié qui ne se conformerait pas au pass sanitaire », constate Patrick Martin, du Medef. Par ailleurs, « profiter de cette loi pour suspendre sans raison un salarié, a fortiori un salarié protégé, ça peut être attaqué pour sanction disciplinaire déguisée ». Même si on ne sait pas encore comment les prud’hommes réagiront devant pareil cas, l’avocate imagine que les conseils seront vigilants.
Le secret médical, potentiellement mis à mal par le pass sanitaire, paraît aussi protégé selon l’avocate : « On a un pass avec une vaccination complète ou un test négatif récent. Donc théoriquement, même si bien sûr les gens parlent, c’est normal, l’employeur n’est pas obligé de savoir. »