Crack à Paris : La Mairie et la préfecture irréconciliables sur la gestion des toxicomanes des jardins d'Eole
DROGUE•Depuis l’évacuation des toxicomanes des Jardins d’Eole, dans le 18e arrondissement de Paris, la situation est explosive. Et aucune sortie de crise ne semble se dessinerCaroline Politi
L'essentiel
- Le 30 juin, la Mairie de Paris a évacué les consommateurs de crack des Jardins d’Eole contre l’avis de la préfecture qui souhaitait un lieu de repli
- Depuis la tension entre riverains et toxicomanes ne cessent de monter.
- La Mairie de Paris souhaite l’ouverture de salles de consommation mais la question n’est pas tranchée au plus haut sommet de l’Etat.
A la Mairie de Paris comme à la préfecture de police, on jure que le dialogue n’est pas rompu, que les discussions se poursuivent pour tenter de trouver « une issue positive » à la crise. Pourtant, douze jours après l’évacuation des toxicomanes, accros au crack pour l’immense majorité d’entre eux, des Jardins d’Eole, à la lisière des 18e et 19e arrondissements de Paris, la situation semble plus explosive que jamais. Au cours de ce seul week-end, des riverains s’en sont pris à un petit groupe de drogués qu’ils soupçonnaient être impliqués dans la mort d’un jeune autiste du quartier. Trois d’entre eux ont été légèrement blessés.
Malgré ces tensions de plus en plus prégnantes, difficile d’entrevoir une sortie de crise, la Mairie de Paris et la préfecture se reprochant mutuellement d’être responsables de la situation. « Cette extrême difficulté était prévisible à la suite de votre décision de fermer unilatéralement l’accès aux Jardins d’Eole aux consommateurs de crack, sans trouver concomitamment et ensemble, de solution alternative pour les installer dans un autre lieu », a écrit, samedi, le préfet Didier Lallement à l’adjoint à la sécurité d’Anne Hidalgo, Nicolas Nordman, qui lui demandait de débloquer en urgence des effectifs de police pour « pouvoir contrôler et évincer les personnes qui stagnent » aux abords du parc, soit environ 200 toxicomanes en situation d’errance.
Un profond désaccord
Pour comprendre la polémique, retour mi-mai. Pour apaiser les riverains de la place Stalingrad, excédés par les cris, les bagarres et le trafic au pied des immeubles, la préfecture et la mairie décident de regrouper provisoirement les toxicomanes dans les Jardins d’Eole, plus en retrait des habitations. Quinze jours plus tard, revirement de situation : Anne Hidalgo promet aux riverains qu’ils retrouveront leur parc dès cet été. « Évidemment que la situation est très compliquée aujourd’hui, mais elle l’était déjà à Éole, insiste Anne Souyris, l’adjointe en charge de la Santé publique. Il y avait déjà les rixes, les violences, les tirs de mortiers. » Le préfet, lui, s’oppose à une telle évacuation en l’absence de solutions alternatives et propose un regroupement place Auguste-Baron, à la lisière d’Aubervilliers, sous le périphérique. Refus net de la Mairie. « Ce n’est pas une proposition sérieuse, commente l’élue. On ne va pas les installer sur un carré d’herbe séchée, entourés de voitures pour recréer une colline du crack. »
Malgré ce désaccord, les toxicomanes sont évacués du parc le 30 juin… mais se regroupent tout autour. « On a averti à plusieurs reprises que, sans point de repli, ils allaient forcément rester dans le quartier, insiste une source au sein de la préfecture. On ne nous a pas écoutés et aujourd’hui on nous sollicite pour les évincer. Mais pour aller où ? Il faut qu’il y ait une zone prédéfinie. » Dans sa missive, le préfet de police réitère sa proposition « d’échanger rapidement » afin de trouver un « lieu alternatif ». « Mon objectif est d’éviter que les riverains ne soient à nouveau les victimes des troubles causés par les crackeux, précise-t-il. La solution provisoire de regroupement au sein des Jardins d’Eole avait assez significativement amélioré la situation. »
Différence de philosophie
Mais le différend entre la mairie et la préfecture ne saurait se limiter à un désaccord de calendrier ou même géographique, il est avant tout philosophique. Anne Hidalgo, s’appuyant notamment sur un rapport publié en janvier par l’Inserm et l’Observatoire français des drogues et toxicomanie, souhaite l’ouverture de structures d’accueil, associées à des salles de consommation, pour prendre en charge les toxicomanes. Ce à quoi Didier Lallement n’est pas favorable, craignant la création d’un lieu de fixation. « Là où il y aura des toxicomanes, il y aura forcément des dealers, note cette source préfectorale. Mais pour l’instant, ce n’est même pas le problème puisque ce n’est pas autorisé. »
La question de généraliser les « salles de shoot », expérimentées jusqu’en 2022 à Paris et Strasbourg, divise en effet jusqu’au plus haut sommet de l’État. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, y est plutôt favorable, son homologue de l’Intérieur, Gérald Darmanin, y est fermement opposé. Si Jean Castex n’a pas tranché sur cette épineuse question, Anne Hidalgo a d’ores et déjà promis l’ouverture d’une première structure d’ici la fin de l’été.
« On espère ouvrir trois ou quatre structures mêlant accueil, prise en charge médico-sociale et salle de consommation dans l’année et une première très rapidement », détaille Anne Souyris, sans pour autant fixer de calendrier. L’élue a bon espoir qu’une autorisation exceptionnelle leur sera accordée avant qu’une loi ne régularise la situation. Et si ce n’est pas le cas ? « Le gouvernement ne peut pas rester sur ce statut quo, on ne peut pas juste attendre que ça se passe », insiste-t-elle. Mais alors que la campagne présidentielle se dessine, pas sûr que le gouvernement souhaite s’emparer d’un sujet aussi clivant.