Vaccinés contre non-vaccinés, la crainte d’une « fracture » en France

Coronavirus : Faut-il craindre une France à deux vitesses entre vaccinés et non-vaccinés ?

PANDEMIELa moitié de la population française a reçu au moins une dose, l’autre non
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Une extension du pass sanitaire est de plus en plus envisagée pour lutter contre la flambée des cas de coronavirus en France.
  • Une mesure qui pourrait encore plus scinder le pays en deux, entre les vaccinés et les non-vaccinés.
  • La fracture entre deux France irréconciliables est-elle déjà consommée ?

Lundi 12 juillet, Emmanuel Macron s’exprimera à 20 heures après avoir présidé un conseil de défense sanitaire extraordinaire, à l’issue duquel de nouvelles mesures sont attendues pour stopper la progression actuelle du coronavirus en France. Le nombre de nouveaux cas positifs quotidiens en moyenne sur une semaine est passé de moins de 1.800 le 26 juin à plus de 4.000 ce jeudi, et à la cadence actuelle, devrait dépasser les 10.000 avant la fin du mois.

Parmi les pistes des nouvelles mesures, l’extension du pass sanitaire est envisagée. Actuellement, ce dernier n’est nécessaire que pour les événements statiques de plus de 1.000 personnes et les discothèques. Pour accéder à ces endroits, il faut présenter un pass sanitaire ou une vaccination complète, ou un test antigénique/PCR de moins de 48 heures, ou la preuve qu’on a eu le coronavirus il y a moins de six mois. Ce pass pourrait devenir obligatoire pour l’intérieur des restaurants et des bars, pour les cinémas, les théâtres, et toute entrée dans un lieu clos où le masque peut s’enlever facilement.

Improvisation gouvernementale

Une telle extension ne risque-t-elle pas de couper la France en deux, entre vaccinés et non-vaccinés ? Pour le docteur et chercheur en Santé publique Mickael Ehrminger, la fracture est déjà là : « Cela ne fera qu’accroître le fossé, et je ne pense pas que cela le résorbera ou convaincra les réticents. Cela risque plus de les braquer. La contrainte est un mauvais allié en Santé publique. » Certes, d’un point de vue sanitaire, l’idée de tester toutes les entrées en lieu clos sans masque se tient : ces endroits seraient responsables de 80 % des contaminations selon une étude de l’Institut Pasteur. Mais « il fallait y penser avant le déconfinement pour prévenir ce risque, pas un mois après », note le chercheur.

Car même si une personne décide de se faire vacciner à l’instant, il lui faudra au minimum cinq-six semaines pour être considérée comme immunisée (trois-quatre semaines minimum entre les deux doses, ainsi que les deux semaines supplémentaires après la seconde dose). « On va donc potentiellement limiter l’accès à tout un pan de consommation sans prévenir. On paie encore une fois le manque d’anticipation du gouvernement, qui improvise une fois au pied du mur, face au variant Delta », rajoute Mickael Ehrminger.

La fracture sociale

La fracture est aussi sociale. Statistiquement, ce sont dans les départements les plus pauvres – comme la Seine Saint-Denis que le taux de vaccination est le plus bas. Selon une étude de medRvix, 80,6 % des cadres ont exprimé leur intention de se faire vacciner, contre 77,8 % pour les agriculteurs et 64,6 % des ouvriers. « Il y a toujours eu des inégalités de santé, et on veut les faire payer encore plus cher », s’offusque le chercheur.

Un point de vue que ne partage pas nécessairement Stéphanie Villers, économiste spécialiste de la zone Euro et en macro-économie. « Ce n’est pas une mauvaise chose de pousser les plus précaires à se faire vacciner, car ce sont ceux qui meurent le plus du coronavirus », rappelle-t-elle. Pour prendre un exemple, l’obésité est – avec l’âge – l’un des principaux facteurs de risque de faire des formes graves ou des décès du coronavirus. Obésité qu’on retrouve plus massivement chez les catégories les plus précaires de la population, selon plusieurs études. Certes, se pose la question des deux mois nécessaires à la vaccination complète, mais « à long terme, une telle mesure devrait diminuer l’écart de vaccin entre les classes sociales et d’âges. »

Absence de choix

Pour Stéphanie Villers, il faut de toute façon augmenter massivement la vaccination en France – par quelque moyen que ce soit : « Le choix d’une population qui préférerait faire des tests PCR en continu est bien trop coûteux. » Les tests PCR représenteraient 100 millions d’euros par semaine en moyenne, et jusqu’à un milliard d’euros par mois au plus haut du pic de tests. De quoi vouloir y mettre un frein. L’idée d’une extension d’un pass sanitaire couplé à la fin de la gratuité des tests PCR fait d’ailleurs son chemin au sein de l’exécutif, de quoi fortement inciter les gens à se faire vacciner.

Reste à savoir si l’effet sera réellement visible. Actuellement, 18 % des plus de 60 ans ne sont pas vaccinés, un véritable trou dans la raquette en ce qui concerne les risques d’hospitalisation et de décès en cas de nouvelle vague. Et pas vraiment le public cible des bars ou des cinémas. « L’un des problèmes pour ces publics est plutôt la fracture numérique, le manque d’accès aux soins ou de mobilités », rappelle Mickael Ehrminger. La fracture entre vaccinés et non-vaccinés – qui se prépare – cache en réalité de nombreuses autres fractures existantes depuis longtemps.