« On ne fait pas le deuil de son parent, quel que soit son âge »… Des célébrités se confient
INTERVIEW•Karine Dusfour, l’une des autrices de Grandir avec l’absence *, explique les répercussions de la disparition précoce d’un de leurs parents pour treize personnalités
Propos recueillis par Delphine Bancaud
L'essentiel
- A l’heure de l’insouciance, ils ont eu à subir le choc de la mort d’un père ou d’une mère.
- Dans Grandir avec l’absence *, qui vient de sortir en librairie, treize personnalités évoquent ce drame intime.
- Karine Dusfour, l’une des autrices du livre, revient sur l’expérience intime de ces célébrités, afin de lever le tabou sur ce que vivent les orphelins.
Comment grandir lorsqu’un de ses parents est mort ? Dans Grandir avec l’absence *, sorti récemment en librairie, treize célébrités ** évoquent la perte précoce d’un père ou une mère. Elles racontent leur sentiment d’être à jamais différentes, leur habitude à ne compter que sur leurs propres forces, l’empreinte de l’absent sur leur parcours…
Un ouvrage d’autant plus touchant que les deux autrices savent de quoi elles parlent : Elisabeth Bost est la maman de Jean, dont le père est mort lorsqu’il avait 5 ans. Et Karine Dusfour a elle-même perdu son père lorsqu’elle avait 12 ans. Pour 20 Minutes, cette dernière revient sur la construction personnelle atypique de ces personnalités.
Pourquoi avoir interrogé des célébrités sur la perte d’un de leurs parents, plutôt que des anonymes ?
Nous pensions que des personnes connues, qui ont l’habitude de s’exprimer sur plein de sujets, auraient moins de difficulté à verbaliser ce que la perte d’un parent a induit sur leur parcours.
A-t-il été difficile de les convaincre de se confier ?
Etant donné qu’Elisabeth Bost et moi sommes concernées par le sujet, lorsque nous lisions une interview dans laquelle une célébrité évoquait son deuil parental, nous retenions l’information. Nous avons ensuite lancé plein de bouteilles à la mer et nous avons eu assez peu de refus. Nicolas Hulot voulait refuser, mais quand nous lui avons expliqué que nous voulions que ce livre serve en premier lieu aux jeunes qui sont confrontés à un deuil parental, il a finalement accepté. Il tenait à ce que son témoignage serve à d’autres enfants vivant cette situation, afin de rendre leur deuil moins tabou. Certains se sont aussi confiés à nous pour transmettre un peu de leur histoire familiale à leurs enfants.
Plusieurs de ces témoignages évoquent le manque de transparence autour de la mort du parent. Comment l’expliquez-vous ?
Le parent restant essaye toujours de faire bien. Mais son souhait d’épargner son enfant l’amène parfois à différer l’annonce de la mort. Certaines personnes n’arrivent pas non plus à dire la vérité car elles ne sont pas en capacité d’affronter cette scène terrible. Joann Sfar raconte ainsi que son grand-père voulait qu’il sache la vérité sur la mort de sa mère, mais le père refusait. Au bout de deux ans, il a fini par transgresser l’interdit pour l’annoncer à son petit-fils.
Dans beaucoup de familles, on ne parle pas des morts. Comment les enfants vivent-ils ce silence ?
Parfois, les adultes ne savent pas comment s’y prendre pour évoquer le disparu et ont peur de blesser l’enfant. Du coup, ils n’en parlent pas, alors que l’enfant n’attend que ça et en a besoin pour se construire. Ce qui fonctionne le mieux, c’est de faire participer l’enfant à un groupe de parole organisé par une association d’orphelins. La parole se libère très vite et l’enfant se sent ensuite autorisé à poser des questions à sa famille.
Tous vos interviewés évoquent leur impression d’être différents très tôt des autres…
Le fait d’être confrontés à la mort jeune les singularise. Mais à l’adolescence, ils veulent être comme les autres et ne surtout pas inspirer la pitié. Du coup, il faut éviter de leur parler de leur situation devant tout le monde, afin qu’ils ne se sentent pas stigmatisés.
Point commun de beaucoup de ces enfants : ils donnent le change, ont de bons résultats scolaires. Comme s’il ne fallait pas en rajouter pour le parent restant…
L’enfant comprend instinctivement qu’il a besoin du parent qui reste pour sa propre sécurité et son développement. Donc il fait tout pour ne pas lui causer de souci et ne pas lui ajouter de chagrin. Jean-George Malcor raconte ainsi qu’il rentrait tôt chez lui le soir lorsqu’il était adolescent, car il savait que sa mère ne s’endormait pas tant qu’il n’était pas là. Dans ces huis clos qui peuvent être oppressants pour l’enfant, la société a un rôle à jouer. Il faut que le chagrin de l’enfant soit pris en compte par d’autres adultes que le parent restant, qui a déjà son propre deuil à gérer.
Quelle aide pourrait être mise en place pour ces familles ?
Aujourd’hui, un enfant qui perd un parent revient à l’école sans qu’aucun protocole ne prévoit les conditions de son retour. S’il est au collège, son prof principal est au courant, mais pas les autres. A l’école maternelle, on fabrique des cadeaux pour la fête des pères ou des mères. L’accompagnement scolaire des enfants orphelins est défaillant alors que les enseignants vous tous être confrontés à cette situation. Il est nécessaire de les former. Il faudrait mettre en place un protocole de retour à l’école pour que l’information soit répertoriée dans le dossier scolaire de l’enfant et qu’un rendez-vous avec le psychologue scolaire soit obligatoire avant qu’il ne regagne la classe.
Certains ont-ils cherché une figure parentale de substitution pour tenter de combler un peu du vide qu’il ressentait ?
Oui, Nicolas Batum a longtemps cherché dans ses coachs un père de substitution. Anne Goscinny aussi, avec un médecin, un prof… Parfois, ce sont les grands-parents qui ont pris un rôle très important, comme pour Joann Sfar ou Sarah Biasini.
L’absence du parent se fait-elle ressentir plus vivement à certaines étapes de la vie ?
Certaines étapes invitent à revisiter son passé et font réémerger des souvenirs. Presque tous ont évoqué le moment où ils ont dépassé l’âge qu’avait leur parent lorsqu’il est mort. C’est le cas de Clémentine Autain qui, à 33 ans, a ressenti un sentiment de flottement. Nicolas Batum a eu peur de mourir au même âge que son père. Sarah Biasini a aussi évoqué la maternité, qui a fait remonter énormément de souvenirs de sa mère, Romy Schneider.
Quels traits de caractère ce drame originel a-t-il induits dans leur personnalité ?
La perte d’un parent a généré chez certains une maturité précoce, un surplus de volonté, une sorte d’énergie compensatoire… Quand un enfant est ainsi exposé à la mort, il sait aussi très vite ce qu’il veut dans la vie. L’avocat Hervé Temime l’évoque en disant : « J’ai transformé ce drame incommensurable en une volonté qui m’a fait aller au-delà de moi-même ». Nicolas Hulot s’est aussi très vite pris en mains et a été autonome financièrement à 18 ans. « Cela m’a permis de développer mon instinct de survie », confie-t-il. Nicolas Batum explique, lui, être devenu basketteur comme son père pour poursuivre son existence. Pour certains, la réussite professionnelle apparaît comme une sorte de revanche. Elie Semoun explique ainsi avoir cherché l’amour du public pour combler un manque.
Mais la douleur d’avoir perdu un parent ne semble pas s’atténuer avec le temps…
Sarah Biasini le résume bien : « Je ne m’en remettrai jamais tout à fait ». Et chez Jean-Pierre Elkabbach, qui a perdu son père à 12 ans alors qu’il en a 83 aujourd’hui, la douleur est toujours à vif. On ne fait pas le deuil de son parent, quel que soit son âge. Le disparu continue à vivre en soi.