Corse : « La vidéo du FLNC Maghju 21, c’est de la communication », décrypte Xavier Crettiez
INTERVIEW•Xavier Crettiez, professeur à Sciences Po, analyse la vidéo du groupe armé FLNC Maghju 21, annonçant un retour de la violence chez les nationalistes corsesPropos recueillis par Adrien Max
L'essentiel
- Un groupe armé, le FLNC Maghju 21, a publié une vidéo annonçant « un redéploiement tactique » de militants de toutes les composantes du FLNC.
- Cette annonce intervient à quelques semaines des élections régionales alors que les nationalistes dirigent l’Assemblée de Corse depuis 2015.
- Pour Xavier Crettiez, cette annonce relève « d’une scénographie et d’un coup de pression aux nationalistes gestionnaires ».
Le retour de la violence chez les nationalistes corses ? Le Parquet national antiterroriste s’est saisi de l’enquête sur la publication d’une vidéo par un groupe armé corse, le FLNC Maghju 21. Une personne armée et cagoulée explique être des « militants de toutes les composantes du FLNC » qui procèdent à un « redéploiement tactique, dans l’attente de l’amorce par l’Etat français d’un véritable processus politique de règlement de la question nationale corse ». Xavier Crettiez, professeur de sciences politiques à Sciences Po Saint-Germain en Laye, et auteur de Violence et nationalisme, Odile Jacob, 2006, décrypte cette prise de parole pour 20 Minutes.
Comment analysez-vous cette vidéo et le communiqué publié par le FLNC ?
Il n’y a jamais rien de très nouveau avec le FLNC. J’ai lu leur communiqué et leurs revendications sont assez classiques. Il y a l’attente de l’Etat et ce n’est pas entièrement faux puisqu’il ne fait rien, et ne participe pas pour une plus grande autonomie de la Corse. Ensuite il y a la dénonciation de la spéculation foncière, et c’est quelque chose d’assez net, il y a une envolée des prix notamment en bord de mer. Ils luttent contre l’appropriation du territoire et la dé-corsisation. Il y a une partie assez raide contre les élus nationalistes qu’ils estiment ne pas être à la hauteur. Dans le même temps ils appellent à voter pour les nationalistes aux prochaines élections, mais plutôt pour la branche dure que la branche citoyenne. Le dernier point qui a déjà pu apparaître par le passé est la dénonciation de la criminalité et de l’emprise mafieuse en Corse, qui est de plus en plus importante.
Est-ce nouveau ?
Sur le fond il n’y a pas de surprise, et sur la forme c’est toujours pareil, avec beaucoup de symbolique. Comme la publication de la vidéo le 5 mai, date anniversaire de la création du FLNC. Avec exactement le même décorum, les cagoules. C’est pour faire revenir le mythe du FLNC des origines.
Est-ce que la population corse peut adhérer à cette forme de violence véhiculée à travers la vidéo ?
On voit assez clairement que le nationalisme gestionnaire ne suffit pas. Il y a une forme de nostalgie du nationalisme protestataire, violent. On retrouve de la violence à travers la cagoule, le mythe du clandestinou, ça revient en force. On retrouve cette théâtralité violente qui a fait le succès du FLNC dans les années 80-90. Le FLNC avait un succès énorme à cette époque, ils théâtralisaient la violence sans la pratiquer de façon violente. Ils s’en prenaient aux banques, aux villas secondaires et les Corses trouvaient même que ça leur apportait du travail. Jusqu’en 1993 et le déchirement entre nationalistes qui a fait une vingtaine de morts. C’est à ce moment qu’ils ont perdu de la légitimité et leur capacité de séduction.
Peut-on craindre des actions violentes ?
Non, je pense que c’est plutôt un coup de pression. Le « redéploiement tactique », c’est un langage très militariste qui renvoie à la pratique clandestine. C’est de la scénographie, tout ça c’est de la com', le FLNC a toujours été une agence de communication extraordinaire. Je ne suis pas persuadé qu’ils ont les moyens de mener des campagnes d’attentat. Le parquet antiterroriste ne laissera pas faire, ils ont désormais d’énormes moyens d’enquête qui compliquent la survenance d’attentat. Il y a une dimension publicitaire et un coup de pression aux nationalistes gestionnaires.
Est ce un échec pour les nationalistes au pouvoir ?
Cette vidéo est un peu une façon de dire « le nationalisme gestionnaire ne fonctionne pas, au moins quand on posait des bombes on nous entendait ». D’autant plus que l’Etat macroniste favorise cela en ne leur tendant quasiment pas la main. Ils ont tellement peu envie que les nationalistes réussissent et cela se ressent à travers l’administration préfectorale qui se dit « on ne va quand même pas laisser l’avocat de Colona réussir dans l’île ». Ça joue aussi.
Y a-t-il un lien avec l’arrivée des élections régionales et départementales ?
Les élections régionales sont très importantes en Corse. Il n’y a plus qu’une seule élection pour l’Assemblée territoriale qui est l’exécutif corse, et les élections départementales où sont réunies la Corse du Sud et la Haute Corse. Surtout que les nationalistes arrivent divisés contrairement aux dernières élections. Là ils sont divisés parce qu’il y a plusieurs listes nationalistes. Evidemment ceux qui apparaissent cagoulés se positionnent auprès des plus durs et ils peuvent clairement attirer une frange de l’électorat mécontent.
Cette prise de position relève-t-elle uniquement de l’aspect nationaliste ?
Le département de Haute-Corse est le troisième département le plus pauvre de France. Il y a des vrais problèmes de pauvreté, mais aussi d’inégalité parce que certains gagnent beaucoup d’argent. La Corse du Sud est l’endroit où il y a le plus de résidences secondaires dans tout le France. La majorité du travail est dans les grandes villes, qui sont aussi là où il y a le plus de résidences secondaires. Les prix de l’immobilier à Porto-Vecchio sont pratiquement les mêmes qu’à Paris, sauf que les salaires n’ont rien à voir. Les jeunes retournent vers les terres sauf qu’il n’est pas rare de faire 10 kilomètres en 45 minutes. Tout cela alimente le mécontentement et abreuve le vote défouloir. Il y a une vraie pauvreté et la question sociale y est forte. Beaucoup de gens votent nationalistes parce qu’ils sont touchés par la question sociale.