Attentats du 13-Novembre : Où en est le processus d'indemnisation des victimes ?
RECONSTRUCTION•Selon le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme, une offre d’indemnisation définitive a été proposée à 2.334 personnes touchées le 13 novembre 2015
Hélène Sergent
L'essentiel
- Géré au cas par cas, le processus d’indemnisation des victimes des attaques du 13-Novembre s’avère particulièrement complexe.
- Si la majorité des 2.593 victimes directes et indirectes des attentats parisiens ont d’ores et déjà reçu une offre d’indemnisation, certaines dénoncent une approche trop « administrative » et difficilement compréhensible de la part du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme (FGTI).
- Conscient des souffrances que peut engendrer ce processus de réparation financière, le FGTI défend un dispositif individualisé unique en Europe et plus « juste » pour les victimes.
Pour Philippe Duperron, « c’est une équation impossible ». Président de l’association « 13onze15 », il a perdu son fils, Thomas, lors des attentats du 13 novembre 2015. Comme les 2.592 autres victimes directes et indirectes des attaques terroristes de Paris et Saint-Denis, Philippe Duperron et son épouse ont été pris en charge par le FGTI, le Fonds de garantie des victimes, chargé de les indemniser. « L’offre qui nous a été faite au titre du préjudice d’angoisse de mort imminente correspondait au montant minimum fixé par les grilles du Fonds. On ne nous a donné aucune explication pour justifier ce montant. J’ai écrit un courrier pour comprendre comment cette somme avait été fixée, et on m’a répondu que ces critères dépendaient de notre dossier », explique-t-il.
Epaulé par un avocat, le père de Thomas a refusé cette offre et décidé de contester l’ensemble de son dossier devant le juge d’indemnisation des victimes d’attentats terroristes. Selon le FGTI, 5 % des dossiers font aujourd’hui l’objet d’un contentieux. Plus de cinq ans après les faits, plusieurs victimes pointent désormais le rôle ambivalent endossé par le fonds de garantie. « Il revendique un accompagnement et une prise en charge des victimes d’attentat et, en même temps, c’est lui qui doit fixer les montants des indemnisations », estime Philippe Duperron.
Un « combat permanent »
S’il reconnaît le caractère précieux du FGTI, Arthur Denouveaux, président de l’autre association de victimes des attentats du 13 novembre, « Life for Paris », partage l’analyse de Philippe Duperron. « Le Fonds est censé réparer intégralement le préjudice causé par les attaques terroristes. Or, il se comporte trop souvent comme un assureur, ce qu’il n’est pas censé être, puisque c’est un organe de solidarité nationale », appuie le jeune homme. Récemment mis en cause sur les réseaux sociaux par certaines victimes, le FGTI a publié mercredi 5 mai un état des lieux des indemnisations des victimes du 13 novembre 2015. « Le Fonds a émis une offre d’indemnisation définitive à 2.334 victimes. Pour la majeure partie d’entre elles, soit 1.629 personnes victimes, l’indemnisation est aujourd’hui terminée », précise le communiqué de presse.
En revanche, 705 victimes n’ont pas accepté l’offre qui leur a été faite. C’est le cas de Fred Dewilde. A 55 ans, ce graphiste, qui a passé près de deux heures dans la fosse du Bataclan le soir du 13 novembre, a reçu pour l’heure l’équivalent de 50.500 euros de provisions. Mais il déplore le « combat permanent » imposé aux victimes pour obtenir une juste indemnisation. Le préjudice professionnel est, selon lui, mal pris en compte et sous-évalué. « Les attentats ont eu une incidence sur mon salaire, sur mon travail, sur ma vie personnelle et familiale. Le stress que j’ai subi est tel que je n’arrive plus à avoir de vie professionnelle. J’ai 55 ans et je dois encore cotiser pour ma retraite ! Et le FGTI me répond : "Vous pouvez dessiner, vous avez publié une BD, donc vous pouvez travailler !" », s’étrangle-t-il au téléphone.
Un préjudice professionnel difficile à évaluer
D’autres cas similaires ont été signalés à Arthur Denouveaux, le président de « Life for Paris ». « Lorsque les attentats ont entraîné un changement vers une carrière beaucoup moins lucrative, il est arrivé que le Fonds rétorque qu’il résultait d’une volonté personnelle et avait pour conséquence d’offrir un cadre de vie moins stressant et plus agréable pour la personne concernée », explique-t-il.
Contacté par 20 Minutes, le directeur général du FGTI, Julien Rencki se dit conscient de la souffrance que peut engendrer le processus d’indemnisation : « Elle ne sera, par définition, jamais à la hauteur des souffrances physiques et psychiques endurées par les victimes. Nous le savons, et c’est pourquoi nous avons à cœur d’accompagner au mieux chacune des victimes. »
Selon nos informations, près d’un tiers des victimes directes prises en charge par le Fonds fait l’objet ou a déjà fait l’objet d’une indemnisation pour le préjudice professionnel subi. Mais le directeur le reconnaît, ces évaluations sont particulièrement complexes : « Quand une victime change de travail plusieurs années après l’attentat, est-ce que c’est une conséquence de l’attaque ? Comment l’évaluer ? Il n’y a pas de réponse évidente, et nous procédons toujours au cas par cas avec le souci de la juste indemnisation », détaille Julien Rencki.
Pour améliorer cette prise en charge, Arthur Denouveaux plaide pour l’intégration de victimes indemnisées au conseil d’administration du Fonds : « On a de la chance d’avoir cet outil, mais la gouvernance du FGTI n’encourage pas les retours d’expérience, et c’est dommage. Il devrait y avoir des postes réservés à des personnes qui sont passées par ce processus. Car aujourd’hui, sur les questions de fond, le dialogue manque cruellement. »