Coronavirus à Nantes : « En manque de contact », ces forains vendent des chichis juste devant chez eux
REPORTAGE•Aux Sorinières, près de Nantes, une famille de forains a décidé d'ouvrir son stand de confiserie le long de la route, et ce « tant qu’il le faudra »Julie Urbach
L'essentiel
- Privés de fêtes foraines, Emilie et sa famille se sont sentis «coupés du monde» pendant la crise sanitaire.
- Il y a quelques mois, ils ont décidé d'ouvrir leur confiserie juste devant chez eux. Et même si la fréquentation n'est pas toujours au rendez-vous, ils sont toujours là.
«Vous connaissez les croustillons ? C’est une pâte assez aérée que l’on plonge dans l’huile. On mange ça dans le Nord, c’est super bon. » Derrière son impressionnant stand d’environ dix mètres de long, la radio en fond, Emilie est comme un poisson dans l’eau. Depuis cinq mois, cette foraine a rallumé sa machine à gaufres et son enseigne lumineuse pour son plus grand bonheur et celui des gourmands qui croisent son chemin.
Privés, en raison de la crise sanitaire, de la dizaine de foires auxquelles ils participent chaque année, elle et son mari ont décidé d’ouvrir leur confiserie… juste devant leur maison, le long d’une route aux Sorinières, une petite commune au sud de Nantes. « Notre vie, c’est voir des gens, raconte cette mère de deux grands ados. D’un coup, on s’est sentis coupés du monde, en manque de contact, donc il fallait faire quelque chose. Depuis début décembre, on est là. Tous les après-midi à partir de 15 heures, sept jours sur sept, et même quand c’est férié. »
Ce mercredi, il n’y a pas grand monde qui s’arrête. La veille, ça n’a « pas été rentable du tout » avec la pluie qui s’en est mêlée. Mais Emilie, qui a appris le métier avec ses parents, ne fait « pas ça que pour l’argent ». « A cette époque on aurait dû être à la fête foraine de Tours, avant d’aller à Tulle, raconte-t-elle. Bien sûr, ce n’est pas la même ambiance ici, on n’est pas très bien placés, mais c’est pas dans notre mentalité de dire "on arrête". On ne sait rien faire d’autre donc on ne se pose pas de questions. Heureusement, il y a la solidarité des gens. Même s’ils n’achètent pas tous, ils nous font des signes de la main, nous disent qu’on a du courage… C’est ce que je retiendrai de tout ça. »
« Attendre fait partie du métier »
Il est 15h45 et devant l’imposante barraque de la rue de la Haussière, une petite blondinette s’avance en tendant timidement un billet. Garée juste à côté, sa mère l’attend, elle et son cornet de chichis, ce qui se vend le plus ici. « On essaye de venir deux fois par semaine, tout simplement parce que ça apporte de la joie, estime Elsa, la maman de Lyana et Bryton. Ce n’est pas un manège mais ça rappelle la fête, il y a les odeurs… » Grâce au bouche-à-oreille et un peu d’affichage, certains clients sont devenus des habitués, avec lesquels Emilie, qui « adore parler », a tissé de vrais liens. « C’est pareil avec nos voisins : on ne les connaissait pas puisqu’on est toujours partis ! » Le reste du temps, la foraine assure qu’elle ne s’ennuie pas. « Attendre fait partie du métier », sourit-elle derrière son masque, en remplissant des petits pots de pâte à tartiner.
Si la famille assure qu’elle « restera là tant qu’il le faudra », Emilie rêve de reprendre la route sans savoir, encore, à quelle date elle pourra retrouver le « bouillon » de la foire. Celle qui espère un feu vert pour le 9 juin prend, pour la première fois, un ton un peu amer.
« Je ne veux pas m’apitoyer sur mon sort mais je crois qu’on n’est pas vraiment dans les priorités du gouvernement, lance-t-elle. En tout cas, nous seront prêts à appliquer le protocole sanitaire qu’ils décideront, tant que l’on peut reprendre au plus vite. »