A quoi va nous servir l’expérience « Deep Time » ?

Quinze volontaires, quarante jours dans une grotte… A quoi va nous servir l’expérience « Deep Time » ?

NOTION DU TEMPSPerte des repères temporels, pas de lumière, pas de notion des jours ou des heures... Bienvenue dans l'expérience « Deep Time »
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • «Deep Time », l'expérience qui consistait à enfermer 15 volontaires dans une grotte pendant quarente jours, s'est finie cette semaine.
  • Alors que les volontaires sont sortir de la grotte ce samedi matin, l'expérience pourrait apporter bien des découvertes.
  • Fragilité du temps, comportement sous confinement, études comportementales ... 20 Minutes fait le point.

Combien de fois par jour regardez-vous l’heure ? Sur les écrans, les horloges, les réveils matins, les panneaux ou les micro-ondes, la notion du temps est omniprésente, si bien qu’il est rare en 2021 de passer plus de trois heures sans savoir l’heure qu’il est. Alors imaginez quarante jours. Quarante jours sans notion de temps ou d’espace, pas même le soleil pour savoir s’il fait jour ou nuit, de calendrier pour connaître le jour. Une absence totale de notion de temps dans laquelle se sont plongés 15 volontaires, littéralement au fond fin de la grotte de Lombrives, en Ariège, dans une expérience scientifique appelé Deep Time.

Après quarante jours sous terre, les courageux ont redécouvert les rayons du soleil, ce samedi. L’expérience est finie depuis ce jeudi, mais vendredi a servi de transition et de sorte de sas de décompression temporelle pour que la reprise ne soit pas trop brutale. Alors, quarante jours sans repères, ça fait quoi et, surtout, ça va nous servir à quoi ?

Sans repères temporels, les individus de l’expérience raisonnent en termes de cycle, un cycle comprenant une partie d’activité et une partie de repos. Ce qui correspond nous à une journée de travail, suivie d’une nuit de sommeil. Chez nous, à la surface et avec toutes nos unités de temps, un cycle correspond donc à vingt-quatre heures.

Une désynchronisation dès le premier jour

Mais sous terre, il est impossible de savoir quelle heure dure chaque cycle. Avons-nous dormi sept ou douze heures ? Sommes-nous restés éveillés dix ou vingt heures ? Au 23 mars, soit neuf jours après l’entrée de la grotte, Christian Clot, chef de l’opération, en était à son neuvième cycle, tandis que d’autres Deep Timers en étaient à dix ou sept. Mélusine Mallender, directrice en charge du projet, annonçait ainsi lors d’une table ronde à la Cité des Aventuriers : « Dès le premier jour, une personne s’est réveillée à la fin de la journée de tout le monde. Et au fur et à mesure, chacun a commencé à se désynchroniser ». Mélusine Mallender a participé brièvement à l’expérience, ne restant que sept « cycles ». Et en sortant de la grotte, elle pensait qu’il était lundi matin, au lieu de dimanche soir.

Au douzième jour, les Deep Timers reconnaissaient avoir totalement perdu la notion de temps, n’ayant plus aucune idée de quel jour il pouvait être dehors, et encore moins si nous étions le matin, l’après-midi ou le soir. Cette expérience montre donc comme la notion de temps est un repère fragile.

Comment réagissent le corps et l’esprit lorsqu’ils sont privés de repères

Mais ce n’est pas le seul enseignement que Deep Time devrait fournir. A leur sortie samedi, les quinze volontaires seront longuement examinés : poids, nombre de nourritures ingérées durant le séjour, humeur. Deep Time devrait permettre de savoir comment réagissent le corps et l’esprit lorsqu’ils sont privés de repères. Des batteries de test sont également effectuées chaque jour sur les volontaires afin de mesurer l’évolution dans le temps.

« Il sera intéressant d’observer à quel point nos comportements sont dépendants des informations qu’ils reçoivent », explique Camille Avin, psychologue comportemental. « Est-ce qu’on mange vraiment parce qu’on a faim ou parce qu’on sait que c’est l’heure de manger ? », prend-elle en exemple. Tous les volontaires attestent avoir perdu du poids, comme l’indiquait le dernier podcast envoyé à la surface. La psychologue rappelle d’ailleurs que de nombreuses études montrent déjà des comportements dépendant des situations et des informations environnementales. « Pour garder l’exemple de la nourriture, on sait qu’on va plus manger si on est avec d’autres personnes que seul. Car on aura peur de manquer. »

« On ignore encore énormément de choses sur l’impact mental des confinements »

Or, la notion de temps est ici d’autant plus intéressante en raison de la crise sanitaire. Selon une enquête sur la santé mentale de 10.000 personnes en 2020, 40 % des participants ont un peu perdu la notion du temps entre les différentes mesures restrictives et l’ennui. « On ignore encore énormément de choses sur l’impact mental des confinements, du couvre-feu et de la situation actuelle, plaide Camille Avin. Une telle expérience scientifique, si elle est bien sûr plus extrême que les confinements, permet d’étudier ces phénomènes encore méconnus ».

Mais aussi d’étudier le développement de la vue, de l’oreille interne, de la sociabilité en milieu hostile (la grotte est à 12 degrés, dans le noir, avec 100 % d’humidité). Et les études ne s’arrêteront pas là, puisque les Deep Timers seront encore « analysés » après leur sortie pour voir l’impact du retour à la vie normale sur leur corps, leur santé, leur mental. Des tests qui pourraient même durer plusieurs mois. Là encore, une question de temps.