Pourquoi cette histoire de dîners clandestins nous énerve-t-elle autant ?

Coronavirus : Pourquoi cette histoire de dîners clandestins nous énerve-t-elle autant ?

EXUTOIREUn reportage de M6 sur des dîners dans des restaurants clandestins, avec la présence supposée de ministres, a provoqué ue immense colère
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Des ministres ont-ils assisté à des dîners clandestins ? C’est toute la question qui se pose après un reportage de M6 sur un restaurant ouvert en secret, et où la rumeur est lancée par l’une des personnes interviewées.
  • Il n’en fallait pas plus pour enflammer tout le week-end de Pâques et provoquer l’immense colère d’une bonne partie de la population
  • Comment expliquer une colère aussi grande ?

Un reportage de M6, diffusé ce vendredi, sur un luxueux restaurant clandestin à Paris a enflammé le week-end de Pâques. Loin des traditionnels œufs en chocolat, une partie de la population semblait prête à saisir fourches et torches pour recherche les fraudeurs. Une colère amplifiée par les propos du collectionneur Pierre-Jean Chalençon dans le reportage : « J’ai dîné cette semaine dans deux ou trois restaurants qui sont soi-disant des restos clandestins, avec un certain nombre de ministres. » A la suite de cette polémique, le collectionneur a ensuite évoqué une « blague » et « un poisson d’avril », tandis que l’exécutif nie la présence de tout ministre à ces repas. Le parquet de Paris a de son côté ouvert une enquête.

Mais il est déjà trop tard. Rien que ce week-end, 190.000 tweets ont été publiés derrière le hashtag #OnVeutLesNoms autour des ministres supposément concernés et 32.000 sur #MangeonsLesRiches. Pourquoi une haine aussi forte, alors que pour le moment, aucune preuve n’atteste de la présence de ministres ? Robert Zuili, psychologue et spécialiste des émotions sociales, explique : « L’époque est tellement difficile à vivre avec le coronavirus que les gens ont besoin de défouloir et d’exutoire. La véracité des faits passe après la nécessité d’extérioriser la colère, toute occasion est bonne à prendre. »

Pas de preuves mais un bon scénario

Une absence de preuve d’autant plus reléguée au second plan que le scénario – des ministres allant dans des dîners cachés du reste de la société – colle parfaitement avec les théories complotistes sur les élites. William Genyes, politologue à Science Po et spécialise de la sociologie des élites politiques, atteste : « Les gens se jettent dedans car ils ont envie d’y croire, qu’importe si c’est faux, c’est plaisant et soulageant de penser que ça a lieu. Il y a ce fantasme d’un entre-soi coupé du monde réel chez les élites qu’embrasse totalement cette histoire. »

Ministres ou pas, la colère est bien plus forte ici par rapport aux multiples articles parus sur d’autres repas clandestins, fraudes entre amis ou soirées à plus de six. « La crise sanitaire exacerbe un sentiment d’injustice envers les plus aisés et recréé une sorte de lutte des classes », note Robert Zuili.

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Les restaus de la colère

Pour William Genyes, la tolérance que l’on peut avoir envers des fraudes de notre groupe social se disperse dès qu’il s’agit de délit venant de « l’élite ». « Pourtant, cela ne repose sur aucun fondement, note le politologue. La crise sanitaire est difficile pour eux aussi, et un repas entre personnes de l’élite sociale n’est pas plus ou moins dangereux au niveau de la circulation virale qu’un autre repas. »

Au-delà des repas – n’ayant même pas l’air si bon que ça – c’est surtout cette ambiance du fameux monde d’avant qui suscite la jalousie. Robert Zuili : « Il y a le sentiment qu’avec ces restaurants clandestins, les riches peuvent s’offrir un déni de réalité, vivre en dehors de la crise sanitaire et faire comme si tout cela n’existait pas. » Après des mois et des mois de coronavirus, de couvre-feu, de confinement, de fermeture des lieux clos, d’attestation, de lenteur de la vaccination, c’est bien cela qui énerve le plus comme privilège : non pas les restaurants, mais l’insouciance.

Dans un contexte psychique très tendu, « les gens sont à cran et se jettent sur tout sentiment d’injustice ou tout comportement qu’ils ne s’autorisent pas eux », résume le psychologue. Avant les riches ou les supposés ministres dans les restaurants clandestins, ce furent ainsi les Parisiens en exil, les joggeurs ou même les gens dehors qui subirent l’ire – au moins virtuelle – de la foule. A qui le tour ?