Coronavirus à Paris : « Ce n’était pas clair » Sur les quais de Seine, l’interdiction de consommation d’alcool mal comprise
REPORTAGE•Depuis le 19 mars 2021, il est interdit aux Parisiennes et Parisiens de prendre l’apéro sur les quais de Seine… Bien qu’il soit toujours autorisé d’acheter de la bière dans l’une des buvettesThibaut Chevillard
L'essentiel
- La préfecture de police a pris un arrêté le 19 mars dernier interdisant la consommation d’alcool dans plusieurs secteurs de la capitale, dont l’esplanade des Invalides, les rives du canal Saint-Martin, ou encore les quais de Seine.
- Encouragés par une météo estivale, de nombreux Parisiens et Parisiennes ont investi les quais lundi soir pour prendre l’apéro. Mais les policiers patrouillaient pour faire respecter les mesures sanitaires ainsi que l’arrêté préfectoral du 19 mars dernier.
- Une mesure difficile à accepter, mais aussi à comprendre, la vente d’alcool étant toujours autorisée sur place.
Le zodiac de la brigade fluviale passe et repasse le long des berges. Installé à bord, un haut-parleur rappelle aux Parisiennes et Parisiens venus profiter du soleil qu’ils n’ont pas le droit de consommer de l'alcool sur la partie de la voie Georges Pompidou comprise entre le pont de Sully et le pont des arts… Même s’il est toujours autorisé d’acheter de la bière dans les buvettes installées sur les quais de Seine. « Les gens ont le droit de promener leur verre » pour aller le boire quelques mètres plus haut, quai de l’hôtel de ville, explique un policier. Avec une vingtaine de collègues, il s’apprête, en ce lundi après-midi, à patrouiller pour faire respecter les (complexes) règles mises en place pour lutter contre l’épidémie de coronavirus.
« Après la phase de pédagogie, on passe à la phase de répression », assure le chef du dispositif, le commissaire Nicolas Benderitter. Assises sur un bout de trottoir, au pied d’un escalier, trois jeunes filles discutent, un gobelet blanc à la main. Les verres sont déjà vides. Elles échappent ainsi à une amende de 135 euros. « L’infraction n’est pas constituée », souffle une policière.
Mais un peu plus loin, la bouteille d’Heineken que tient ce jeune homme, casquette grise et veste Quicksilvers jaune et verte, est encore pleine. Son ami, vêtu d’une doudoune jaune alors qu’il fait 25 degrés, ne porte pas de masque. Venus d’Allemagne, ils écopent chacun d’une amende de 135 euros. « Go with the alcohol », leur lance l’agent qui tente de les orienter vers la sortie. « Not possible here. »
« J’ai le droit de vendre et ils doivent monter pour boire ! »
En passant devant la buvette installée au pied du pont Louis Philippe, les policiers rappellent à Nadia, la vendeuse, que ses clients ne doivent pas s’asseoir pour consommer leur bière. « Tout le monde dit que c’est trop », confie-t-elle énervée. « Qu’ils boivent en haut ou en bas, c’est quoi la différence ? » Nadia juge cette mesure « incohérente ». « J’ai le droit de vendre des bières mais ils doivent monter pour boire ! »
18h30. Les cheveux recouverts de gel, une veste bariolée sur le dos, un jeune homme est verbalisé pour avoir oublié de remettre son masque… après avoir fait la bise à une amie. « C’est combien ? », demande son pote en tee-shirt beige. « 135 euros. Vous pouvez toujours la contester », répond l’agent, qui rappelle à la petite bande, installée sur une serviette face à la Seine, le b.a.-ba des gestes barrières à respecter. « A l’avenir, portez le masque. Ça marche ? »
Disons-le franchement : le jeune homme a manqué de chance. Si l’immense majorité des personnes présentes ce lundi après-midi respectent les règles, nombreuses sont celles qui ne portent pas de masque, oubliant un peu vite que ce printemps 2021 n’est (toujours) pas comme les autres.
Le commissaire Benderitter le reconnaît à demi-mot : les règles ne sont pas faciles à faire appliquer. « Il faut faire preuve de discernement, dit-il, agir au cas par car. Les gens peuvent baisser leur masque pour fumer. Mais ils doivent respecter les règles de distanciation sociale, et s’éloigner le temps de terminer leur cigarette. C’est logique. »
« Cela fait deux semaines que je ne suis pas sortie »
A quelques dizaines de mètres de là, au niveau du jardin Federico García Lorca, deux étudiants partagent un pack de bières et un joint qu’ils ont jeté en voyant arriver les fonctionnaires. Finalement, les policiers ne les verbalisent que pour avoir consommé des stupéfiants et dressent à l’un d’eux une amende forfaitaire de 200 euros.
Son amie comprend qu’il soit verbalisé pour avoir fumé du cannabis, « c’est la loi ». En revanche, ils ne savaient pas qu’il était interdit de boire une bière face à l’Ile-Saint-Louis à l’ombre d’un arbre. Et le message craché par le haut-parleur du zodiac de la brigade fluviale « n’était pas clair. » Comme de nombreux étudiants, les mesures sanitaires commencent à la peser. « On en a marre, je passe tout mon temps à la maison à suivre les cours en ligne. Cela fait deux semaines que je ne suis pas sortie. Les bars sont fermés, tout est fermé. » Sortir, prendre l’air, boire une bière. Mais pas sur les quais de Seine.