EPIDEMIEFaut-il vacciner les enseignants en priorité ?

Coronavirus : Faut-il vacciner les enseignants en priorité ?

EPIDEMIESe sentant en première ligne et exposés, de nombreux enseignants militent pour être prioritaires sur la vaccination
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • L’incidence dans les écoles serait deux fois plus haute que la moyenne nationale, selon le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer.
  • Face à une telle circulation du virus, de nombreux professeurs se sentent exposés et demandent à être prioritaires sur la vaccination. Une bonne idée ?

«On va au travail la boule au ventre avec la peur de se contaminer, de contaminer les élèves, de contaminer nos proches en rentrant à la maison. On part en première ligne, et sans protection », déplore Nicolas Glière, professeur de français et chargé de la communication des Stylos rouges, collectif de métiers de l’éducation. Alors qu’il est de plus en plus admis que les écoles sont des zones de cluster et de haute circulation virale, faut-il changer de stratégie vaccinatoire et inclure enseignants et autres métiers de l’éducation dans les personnes prioritaires pour les vaccins contre le coronavirus ?

Beaucoup de pays ont commencé à vacciner les enseignants, comme l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne, mais également trente des cinquante états des États-Unis. En France, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer avait annoncé le 4 janvier, vouloir que les enseignants soient vaccinés « d’ici mars au plus tard », un souhait probablement passé à la trappe. « Cela montre le mépris du gouvernement à notre égard. Il dit penser avant tout à l’éducation des enfants mais ne fait jamais rien pour protéger les écoles », peste Nicolas Glière.

Écoles sous haute circulation

Tout semble indiquer que le coronavirus circule beaucoup à l’école. Cette semaine, les cas en collectivités scolaires (élèves/enseignants/professionnels de l’éducation) ont doublé, selon le dernier rapport de Santé Publique France, contre « seulement » 14 % d’augmentation du nombre de cas en moyenne dans le pays. Ce vendredi, Jean-Michel Blanquer indiquait que 0,5% des tests à l'école indiquait un cas positif.

« Il faudrait prioriser autrement, selon les professions les plus exposées au virus et non juste par l’âge », souhaite Nicolas Glière. Un propos qu’appuie Olivier, conseiller d’éducation principale à Paris et membre du collectif Génération.s Education (comité thématique du mouvement de Benoît Hamon) : « Vu qu’on est dans une zone de haute circulation du virus, il serait normal de nous vacciner ». Les deux prennent l’exemple de la vaccination des soignants, qui sont dans les publics prioritaires quel que soit leur âge.

Les soignants en première ligne des fragiles

Alice Desbiolles, médecin et spécialiste de la Santé publique, nuance : « La vaccination des soignants se fait prioritairement au nom des risques de transmissions à des publics fragiles. » Les soignants seraient responsables de près d’un tiers des infections au Covid-19 qui sont intervenues à l’hôpital. Ce fut d’ailleurs l’argument du ministre de la Santé Olivier Véran au moment où il a demandé aux soignants de plus se faire vacciner : non pas pour se protéger eux, mais pour protéger leurs patients. Alice Desbiolles poursuit : « On ne peut pas en dire autant des professeurs qui travaillent dans un domaine, où pour résumer, le risque de forme grave est moindre avec une population globalement très peu à risque. » L’étude ComCor de l’Institut Pasteur, publié en mars 2021, comptait ainsi les professeurs des écoles et instituteurs dans les « catégories professionnels les moins à risque » d’attraper le virus, contrairement aux soignants, dans les catégories professionnelles les plus à risque.

La Haute autorité de la Santé a fait le choix de cibler en priorité les publics les plus fragiles, par âge ou par comorbidité. « Les doses de vaccin étant encore très limitées, il semble compliqué actuellement de changer cette stratégie, ou d’expliquer au public cible de la vaccination - celui susceptible de faire des formes graves - qu’on reporte des doses », appuie Alice Desbiolles. La France compte 1.174.100 personnels (dont 886.000 enseignants) en poste à l’Éducation nationale en 2019-2020. Pour atteindre son objectif de dix millions de personnes vaccinées à la mi-avril, la France doit encore vacciner 4,4 millions de personnes en quatre semaines. Vacciner ces professions représenterait donc un quart des primo-injections à administrer, en sachant que le Conseil scientifique estimait, dans un avis d’avril 2020, à 17 millions le nombre de personnes susceptible de faire des formes graves en France.

Ainsi, s’il est vrai que d’autres pays ont commencé la vaccination des enseignants, il faut rappeler que les enseignants sont prioritaires aux États-Unis uniquement après les maisons de retraite et les soignants ou qu’en Espagne ils font partie de la deuxième vague de la campagne de vaccination. Néanmoins, d’autres nations - l’Italie ou le Portugal- les ont effectivement pris en compte comme prioritaires de première ligne. Alice Desbiolles le rappelle, évidemment tout personnel de l’Éducation nationale souffrant de comorbidité éligible à la vaccination peut aller se faire vacciner.

Mauvaise communication

Reste que cette non-décision souffre de la communication du gouvernement sur l’école, sacralisée comme « l’exception française » mais peinant à avoir des mesures. « L’école est fondamentale, essentielle, comme le Ministre Blanquer répète sans arrêt, mais jamais lorsqu’il s’agit de prendre de mesures pour la sécuriser », déplore le collectif École et Familles Oubliées, qui trouverait rassurant également pour les parents d’élèves que les enseignants soient vaccinés.

Pour Olivier, « s’il n’y a pas de vaccins, donnez-nous des masques FFP2, faites des demi-groupes dans les écoles, des détecteurs de CO2 en classe, protégez là où le virus circule beaucoup. Là, on a l’impression qu’on fait de la garderie pour permettre aux parents de travailler et advienne que pourra. »


Notre dossier sur la anti-Covid

Tandis que le collectif École et familles oubliées suggère : « On se demande pourquoi en France il n’y a pas de débat sur la vaccination des enfants, alors que l’American Academy of Pediatrics appelle à accélérer… » Sur l’école, les débats continuent tandis que l’incidence s’envole.