Coronavirus : Quels impacts la pandémie aura-t-elle sur l’espace urbain ?
CONFINEMENT, UN AN APRES•Réduction des déplacements, « ville du quart d’heure », végétalisation… L’émergence du Covid-19 accélère des dynamiques urbaines sous-jacentes, estiment les spécialistesClément Giuliano
L'essentiel
- Un an après l’entrée en vigueur du confinement, décrété le 17 mars pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, 20 Minutes revient sur les conséquences des mesures restrictives et de l’épidémie sur l’espace urbain.
- « De tout temps, les pandémies ont entraîné des changements de paradigme urbain », souligne Aziza Akhmouch, cheffe de la division des villes à l’OCDE.
- Plusieurs tendances déjà à l’œuvre semblent se confirmer, en particulier l’importance de la végétation et une mobilité moins contrainte, qui fait la part belle à la marche à pied.
Une année de profondes évolutions. Depuis le confinement instauré au printemps dernier pour lutter contre la propagation du coronavirus, les mesures restrictives – couvre-feu, fermeture des cafés et restaurants, etc. – n’ont plus quitté notre quotidien. Avec des conséquences majeures sur la façon dont les citadins et citadines « utilisent » leur ville, laissant présager des changements durables. « De tout temps, les pandémies ont entraîné des changements de paradigme urbain. Que l’épidémie de coronavirus ait eu un effet loupe sur les problèmes des grandes agglomérations n’est pas une surprise », souligne Aziza Akhmouch, cheffe de la division des villes et des politiques urbaines à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
« Le Covid-19 a été accélérateur de tendances préexistantes. Le télétravail, par exemple, n’a pas attendu 2020 pour être développé en France, où l'on estime qu’environ 40 % de l’emploi se prête au télétravail. Et il y avait déjà un "effet Greta Thunberg" sur les déplacements », cite en exemple la responsable, qui a constaté, dans une étude menée auprès de plusieurs dizaines de villes au printemps dernier, leur grande capacité d’adaptation à la pandémie. La plupart ont eu recours à un urbanisme dit « tactique », autorisant des terrasses temporaires ou et créant des pistes cyclables temporaires en un temps record – les fameuses « coronapistes ».
L’ère du piéton ?
L’un des principaux impacts de la pandémie sur l’urbanisme concerne justement les déplacements. « Les métropoles ont été construites sur des notions d’ultra-mobilité. La pandémie sera probablement l’occasion de les repenser autour des citoyens et des services », pointe Aziza Akhmouch. Un constat partagé par Lise Bourdeau-Lepage, professeure des universités en géographie à Lyon 3, qui a mené une enquête sur l’effet du confinement sur le quotidien et le bien-être de 10 976 Françaises et Français : « Avec le développement télétravail et la limite de déplacement d’un kilomètre autour du domicile en vigueur lors du premier confinement, de nombreuses personnes ont redécouvert leur quartier, et on s’est rendu compte que certains secteurs urbains étaient dépourvus ou mal fournis en services de proximité, par exemple. »
Le concept de « ville du quart d’heure », rayon dans lequel chaque habitant doit pouvoir trouver les principaux services, semble avoir été validé par la crise sanitaire, souligne Lise Bourdeau-Lepage. « La limite du kilomètre, c’est la plus belle publicité qu’on ait pu faire à nos quartiers. Surtout, ce concept a l’avantage, à mon sens, de remettre le piéton au centre des politiques urbaines. »
« Les mois et les années à venir nous diront si les maires auront le courage politique d’instaurer un meilleur partage de l’espace public pour une réappropriation de ce dernier par les piétons et les cyclistes », pointe Yoann Sportouch, fondateur de l’agence de prospective urbaine LDV Studio urbain. Et de philosopher : « Il peut y avoir des joies et des conséquences positives au fait d’être moins mobiles et d’avoir une mobilité de plus en plus choisie. Le confinement nous a permis de comprendre cela. »
Géographie urbaine et plateformes numériques
Derrière cette diminution des déplacements se dessine une redéfinition de la géographie urbaine, souligne Giovanni Semi, professeur associé de sociologie à l’université de Turin (Italie). « Les formes d’urbanisation qu’on a connues jusqu’à présent – bâtiments tertiaires, zones de foires et de congrès, etc. – risquent de perdre, en peu de temps, une part importante de leurs utilisateurs et leur fonction. On a connu au XXe siècle une telle évolution avec la désindustrialisation des villes occidentales. D’ailleurs, au moment de la survenue du Covid-19 on n’avait toujours pas comblé le vide de la désindustrialisation », souligne-t-il.
Pour avoir travaillé en particulier sur les plateformes en ligne, Giovanni Semi estime que ces dernières joueront un rôle accru à l’avenir. De la livraison de repas aux applications utilisées pour télétravailler en passant par Airbnb, « les plateformes numériques sont les gagnantes de cette crise », regrette le sociologue. Giovanni Semi anticipe en parallèle une plus grande « marchandisation de l’espace public » avec l’extension des terrasses de bars et de cafés.
Végétalisation
Autre tendance de fond accentuée par l’épidémie et ses mesures restrictives : « La crise a amplifié l’appétence des urbains pour la présence de nature et de végétaux à proximité du lieu de résidence », a constaté Lise Bourdeau-Lepage. Une demande de biodiversité de plus en plus prise en compte par les villes et les structures qui œuvrent dans le domaine de l’urbanisme, constate Yoann Sportouch : « On voit par exemple de plus en plus apparaître des demandes de forêt urbaine pour faire baisser la température. »
Avec la réduction de la place de la voiture, la végétalisation rejoint une préoccupation croissante des villes envers les questions de santé, note Aziza Akhmouch, de l’OCDE. Selon elle, les collectivités locales ont d’ailleurs pris conscience, à la faveur de la crise du coronavirus, qu’elles avaient « des leviers d’actions qui permettent de répondre à des préoccupations de santé ».
Vers un exode urbain ?
Reste la question d’un éventuel départ massif d’habitantes et habitants des villes pour les campagnes, au-delà de cas individuels relatés dans les médias. « Avec la crise, on s’est rendu compte qu’en réalité, les gens ne s’agglomèrent pas dans les villes uniquement pour le travail et les activités économiques », observe Aziza Akhmouch. « Il y aura certainement une carte à jouer pour les villes moyennes dans un horizon très court, souligne-t-elle toutefois. Ces communes permettent de cumuler un certain nombre de critères du bien-vivre. »
Notre dossier sur le confinement
« Est-ce que l’ère des villes est finie ? Pour moi, c’est non », répond également Giovanni Semi, qui souligne que les grands centres urbains offrent de s services et remplissent de nombreuses fonctions. « Il y a plein de raisons qui font que les gens resteront dans les villes pour longtemps… même si la crise a montré qu’elles étaient mal préparées ! »