Dans le Nord, le placement d'enfants en famille d'accueil est un casse-tête

Nord : Le casse-tête de l’accueil des enfants placés chez des assistantes familiales

AIDE A L'ENFANCELe Nord est le département qui possède le plus d’enfants sous main de justice à placer
Gilles Durand

Gilles Durand

L'essentiel

  • Le département du Nord a choisi, en 2015, de favoriser les placements d’enfants sous main de justice dans des familles d’accueil plutôt qu’en établissements spécialisés.
  • Environ 5.500 enfants ou ados sont accueillis en famille par 2.600 assistantes familiales.
  • Alors que de nombreuses assistantes familiales approchent de la retraite, le département a du mal à recruter.

Accusée par son ex-mari de ne pas s’occuper de leurs trois enfants. En février, une audience des affaires familiales, au tribunal de Lille, a mis en lumière les failles d’une assistante familiale, ces professionnelles qui accueillent enfants et adolescents placés sous main de justice.

« Pendant deux mois, elle a été suivie par un éducateur social pour ses propres enfants et elle continue pourtant à en garder trois autres confiés par l'aide sociale à l'enfance du département », dénonce Romain*, l’accusateur. Car, même si une condamnation pour maltraitance est prononcée, elle ne provoquera pas le retrait d’agrément. Le dossier ne portait que sur ses propres enfants.

Dans le département du Nord, ce retrait d’agrément reste chose rare. « Une vingtaine de procédures administratives sont déclenchées chaque année, et toutes ne débouchent pas sur des retraits », signale Aurélie Pruvost, responsable du pôle accueil familial au conseil départemental. Pourtant, selon Romain, les manquements sont nombreux, faute de moyens, de formations et d’accompagnement.

« Il faut avoir la fibre et les reins solides »

Une chose est sûre, ces enfants placés souffrent de carences éducatives plus ou moins graves et leur accueil nécessite des compétences très particulières. « Il faut avoir la fibre et les reins solides », explique Hélène*, assistante familiale dans le Douaisis. Tout ça pour un salaire qui n’atteint pas le Smic, si on ne garde qu’un enfant. Car ces assistantes familiales (98 % sont des femmes) sont salariées du département, sous contrat.

Dans le Nord, le conseil départemental a pris, en 2015, un virage dans la politique de placement. Sept cents places d’hébergement ont été supprimées dans les établissements spécialisés, au profit de familles d’accueil, pour des raisons de coût, assumées par l’exécutif. « Il s’agit d’une vision purement comptable, dénonce le syndicat Sud, majoritaire au département. On a même assisté à des dérives consistant à inciter les personnes touchant le RSA à devenir assistante familiale. Un tour de passe-passe permettant de faire des économies. »

Le placement reste un casse-tête

Cependant, les candidatures ne se sont jamais bousculées au portillon pour compenser la fermeture des hébergements en foyer. « C’est un vrai métier de s’occuper de ces enfants. Les tarifs sont trop bas et les conditions de travail trop difficiles », selon Sud.

Le placement reste donc un casse-tête. Selon le département, 5.500 enfants ou ados (soit deux tiers des placements judiciaires) sont accueillis en famille par 2.600 assistantes familiales. Soit une moyenne de plus de deux enfants par foyer, parfois baladés d’un endroit à un autre.

« L’agrément n’est donné légalement que pour trois enfants maximum, mais on peut aller jusqu’à cinq, dans certaines circonstances, avec une dérogation », reconnaît Aurélie Pruvost. C’est le cas notamment d’Hélène qui n’a pas vraiment le choix.

Des difficultés pour recruter

« C’est le département qui décide. Je remplace deux personnes en arrêt maladie. J’ai donc deux enfants en relais depuis plus d’un an. Mais ce n’est pas forcément le nombre qui est compliqué à gérer. Tout dépend du caractère de chacun », précise-t-elle. Ceci dit, le manque d’assistants familiaux commence à douloureusement se faire sentir.

Romain a souvent constaté des dérives. « Quand une famille d’accueil part en week-end, elle confie les enfants à une autre qui n’a pas forcément l’agrément pour les recevoir. C’est une pratique courante et tout le monde ferme les yeux », dénonce-t-il.

Aurélie Pruvost estime, a contrario, que « ces comportements ont disparu ». « La surveillance et l’encadrement se sont renforcés, ces dernières années », confie-t-elle, confirmant néanmoins avoir du mal à recruter de nouvelles têtes. « C’est une particularité du Nord : la moyenne d’âge se situe autour de 53 ans. Il y a donc beaucoup de départs à la retraite. » « Je croise encore des assistantes qui ont plus de 65 ans », témoigne Hélène.

Une réserve de places d’accueil ?

En attendant, les conditions d’accueil se dégradent dans certains territoires. En 2018, une assistante sociale témoignait : « On passe notre temps à chercher des places. Des enfants placés par un juge se retrouvent, parfois, chez nous en salle d’attente, faute de solutions d’hébergement. Et, au final, ils sont obligés de retourner chez leurs parents. »

« Les travailleurs sociaux se sentent souvent débordés. En moyenne, ils s’occupent de 33 à 38 enfants par jour, souligne le syndicat Sud. Et encore, le chiffre a baissé, mais des secteurs, comme la Flandre intérieure ou le Dunkerquois, souffrent de pénurie de professionnels. »

L’idée serait de créer une réserve de places d’accueil avec une allocation d’attente. « Ça permettrait d’adapter le placement dans les meilleures conditions. Certains enfants ont besoin d’un cocon. D’autres, au contraire, seraient mieux dans une structure collective. Chaque cas est différent », souligne Soraya, une assistante familiale de Roubaix, qui déplore, par ailleurs, « un turn-over important et le manque de formation ».

« Mieux on va les traiter, et mieux la société se portera »

« Il arrive souvent que certaines familles craquent. Vous avez parfois des enfants qui vous en veulent de chercher à remplacer leur famille. Ou encore le père ou la mère déchus de leurs droits qui font tout pour que l’accueil se passe mal. On vit des situations très difficiles », insiste-t-elle.

En 2012, huit services d’accueil familial ont été créés dans chacun des territoires pour développer le soutien aux familles de la part d’une équipe éducative et de psychologues dédiés. « Ces services permettent d’améliorer l’accompagnement et de mieux intégrer les assistantes familiales », selon Aurélie Pruvost. Pour Soraya, « l’accueil de ces enfants est encore géré de manière trop administrative, sans se soucier également des besoins des enfants. Pourtant, mieux on va les traiter, et mieux la société se portera. »

* Les prénoms ont été modifiés.