INTERVIEW« Le phénomène de bandes nécessite d’être appréhendé sur un temps long »

Bandes rivales : « A chaque fois, sur le terrain, c’est l’option policière et judiciaire qui prévaut »

INTERVIEWAlors qu’une concertation sur le phénomène des bandes rivales était organisée ce lundi en Ile-de-France, la sociologue Véronique Le Goaziou revient sur la nécessité d’avoir une approche plurielle
Caroline Politi

Propos recueillis par Caroline Politi

L'essentiel

  • Une réunion se tenait ce lundi midi entre les ministres de l’Intérieur, de la Justice, de l’Education nationale, les préfets d’Ile-de-France, les recteurs et les procureurs sur le phénomène de rixes entre bandes rivales.
  • La sociologue Véronique Le Goaziou estime que sur le terrain ce phénomène peine à être traité autrement que « sous un prisme » policier ou judiciaire.
  • « Il y a un nombre de dispositifs incroyables pour lutter contre la délinquance des mineurs mais la plupart ne sont pas appliqués, ou mal appliqués », regrette la chercheuse du CNRS.

Une série noire aussi tragique par son dénouement que par l’âge de ses protagonistes. En moins d’une semaine, deux collégiens ont été tués d’un coup de couteau au cours de rixes dans l’Essonne et un troisième, âgé de 13 ans, a été très grièvement blessé. Selon le ministère de l’Intérieur, en 2020, 350 affrontements entre bandes rivales ont été recensés en France, dont 186 rien qu’en Ile-de-France. Pour tenter d’appréhender ce phénomène, les ministres de l’Intérieur, de la Justice et de l’Education se réunissaient ce midi avec les préfets de tous les départements franciliens, les recteurs et les procureurs. La sociologue Véronique Le Goaziou, chercheuse au CNRS et auteure avec Laurent Mucchielli de La violence des jeunes en question désespère de voir ces concertations aboutir sur des actes concrets.

Qu’espériez-vous de cette réunion ?

On parle aujourd’hui de ce phénomène à la faveur des événements de la semaine dernière, mais il n’a rien de nouveau : déjà sous Mitterrand, il y avait des concertations entre différents acteurs à ce sujet. Le problème, c’est qu’à chaque fois, sur le terrain, c’est l’option policière et judiciaire qui prévaut. Comme si la violence ne pouvait se résoudre que sous ce prisme. Or, ce phénomène est un problème de fond qui mêle de multiples problématiques. Ces territoires sont le creuset de nos dysfonctionnements et de nos ratés. On y observe une précarité grandissante, un renoncement à la réussite scolaire, une culture de la violence, une emprise des réseaux sociaux… Parallèlement, il y a de moins en moins d’acteurs de proximité : les éducateurs, les travailleurs sociaux sont en sous-effectif, les associations de quartier se voient retirer des subventions… Il faut réussir à casser cet entre-soi des quartiers et favoriser la proximité.

Comment y parvenir ?

Mettons en œuvre ce qui existe déjà ! Il y a un nombre de dispositifs incroyables pour lutter contre la délinquance des mineurs mais la plupart ne sont pas appliqués, ou mal appliqués. Comme si toute l’énergie passait dans l’élaboration de ces plans et non pas leur application ! On entend beaucoup dire que ces phénomènes de bandes sont très difficiles à prévenir, notamment parce qu’ils partent de petits incidents et prennent de l’ampleur sur les réseaux sociaux. Pourtant, les enquêtes sur les événements récents semblent montrer que certains conflits remontaient à plusieurs semaines, voire mois. Mais s’il n’y a plus d’acteurs – ou trop peu – sur le terrain, comment peut-on imaginer intervenir en amont ?

Quel rôle l’Education nationale a-t-elle à jouer ?

Un rôle fondamental. L’école est l’un des principaux lieux de vie de la jeunesse et les enseignants sont souvent de bons observateurs de celle-ci. Ce sont eux qui vont être les premiers à détecter les tensions, les changements de comportement. Ils sont en première ligne. On observe d’ailleurs une corrélation importante entre les carrières délinquantes et la défection scolaire. Il faut donc parvenir à garder le plus longtemps possible les enfants et les adolescents dans le giron de l’école. Cela peut passer par les cours évidemment mais également par toutes les activités extrascolaires en lien avec des travailleurs sociaux, des médiateurs.

Comment expliquer le rajeunissement des mineurs participants à ces rixes ?

Beaucoup de professionnels font effectivement état du rajeunissement général des membres de ces bandes. Dans certains territoires, les adolescents et parfois même les grands enfants de 9 à 11 ans baignent dans un état de violence quasiment saturé : entre ce qu’ils observent dans leur quartier, chez eux et aujourd’hui sur les réseaux sociaux, leurs moments de légèreté se sont réduits. Ce sont des cocottes-minute prêtes à exploser à tout moment. Sur le terrain, les éducateurs nous le disent, ils démarrent au quart de tour, là où auparavant ils allaient en venir aux mains, ils sortent plus rapidement une arme.

Faut-il également revenir à la police de proximité ?

L’expérience nécessite en tout cas d’être retenté, mais à condition que ce ne soit pas une énième mission parmi d’autres. Il faut des fonctionnaires qui connaissent les spécificités du quartier, ses habitants. Le phénomène de bandes est complexe et nécessite d’être appréhendé sur un temps long.