« Gilets jaunes » : Une plainte contre Emmanuel Macron instruite par la Cour pénale internationale ? C’est faux
FAKE OFF•Virale sur les réseaux sociaux depuis quelques jours, cette infox repose sur une « plainte » déposée en juin 2019 par Francis LalanneClément Giuliano
L'essentiel
- Emmanuel Macron et Christophe Castaner sous le coup d’une « instruction » de la Cour pénale internationale ? C’est ce qu’on peut lire sur Facebook depuis quelques jours.
- Une information démentie auprès de 20 Minutes par le bureau du procureur de la Cour pénale internationale.
- Les « examens préliminaires » de la part de la CPI sont très rares et portent sur des faits extrêmement graves.
La nouvelle, largement relayée sur les réseaux sociaux au cours des derniers jours, est de taille. « Cour pénale internationale : la plainte déposée contre Macron et Castaner a été reconnue recevable et est en phase d’instruction sous le numéro de dossier OTP.CR 173/19. » Si vous n’en aviez pas entendu parler, c’est en raison du « silence assourdissant des médias français » sur la question, assure l’auteur de cette publication.
En réalité, c’est parce qu’aucune procédure d'« instruction » visant le président de la République et son ex-ministre de l’Intérieur n’a été ouverte à La Haye.
FAKE OFF
D’où vient cette fausse information, qui circulait déjà il y a quelques mois, comme l'avait relevé Libération ? Il faut tout d’abord revenir près de deux ans en arrière. En juin 2019, contestant les pratiques de maintien de l’ordre de la part de la police et de la gendarmerie lors des journées de mobilisation des « gilets jaunes », Francis Lalanne dépose une « plainte » visant Emmanuel Macron et Christophe Castaner devant la Cour pénale internationale. Pour le musicien, qui avait déjà formulé ses griefs à leur encontre dans une pétition lancée quelques semaines plus tôt, les deux responsables se sont rendus coupables de « crimes contre l’humanité » en réprimant le mouvement par des « arrestations arbitraires », des « gardes à vue injustifiées » ou encore des « perquisitions abusives ».
Premier problème : « Il n’y a pas de système de plaintes à la Cour pénale internationale », explique à 20 Minutes Fadi El Abdallah, porte-parole de cette juridiction créée en 1998 et compétente pour juger les génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Malgré tout, les Etats peuvent saisir la CPI, et « toute personne ayant des informations potentiellement pertinentes peut les soumettre au bureau du procureur, qui accuse réception puis les examine pour décider des suites à donner à ces informations. »
Des « informations » de ce type, le bureau du procureur de la CPI en reçoit « des centaines » chaque année, poursuit Fadi El Abdallah. Parmi elles figure celle de Francis Lalanne : sollicité par 20 Minutes, le bureau du procureur confirme avoir été destinataire d’éléments de la part du musicien.
« On n’a pas de son, pas d’image »
« Contrairement » aux affirmations du message viral, « nous n’avons pas jugée recevable » la communication transmise par Francis Lalanne, annonce le bureau du procureur de la CPI à 20 Minutes. Aucune « instruction » n’est donc en cours. Une information que l’avocate du chanteur ne semblait pas avoir le mois dernier, si l’on en croit ses propos dans un entretien au site complotiste France-Soir le 21 janvier. « Pour l’instant, on n’a pas de son, pas d’image », regrettait Sophia Albert Salmeron. Et l’avocate de poursuivre sur une note d’espoir : « On peut toujours espérer qu’un jour, si Macron est lâché par ses pairs […], on puisse récupérer ce numéro de dossier pour régler les comptes entre les citoyens et ce président de la République. »
En réalité, la CPI ne lance pas d'« examens préliminaires », selon le jargon consacré, à l’initiative de chefs d’Etats, mais selon une procédure judiciaire indépendante et très codifiée qui a conduit à l’irrecevabilité des éléments transmis par Francis Lalanne. Le déclenchement d’un « examen préliminaire » reste d’ailleurs très rare et, lorsque c’est le cas, il porte sur des faits extrêmement graves. Au total, quatorze procédures de ce type ont été lancées à La Haye depuis la création de la CPI en 1998 – et treize autres dossiers ont franchi l'étape suivante et font actuellement l'objet d'une enquête. Aucune ne concerne la France.
Crimes graves commis en territoire palestinien, répression d'un rassemblement pacifique le 28 septembre 2009 à Conakry (Guinée) ayant conduit selon les ONG au massacre de 150 personnes, soupçons de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité après des actes de torture ou inhumains en Ukraine dans le cadre des manifestations de Maïdan entre le 21 novembre 2013 et le 22 février 2014… La liste des allégations ayant justifié l’ouverture d’un examen n’est pas comparable avec le bilan de la répression des « gilets jaunes » – même si les pratiques de maintien de l'ordre ont été dénoncées par des ONG, des enquêtes judiciaires ouvertes en France et des membres des forces de l'ordre condamnés par la justice hexagonale pour des actes commis lors des manifestations.