Deux ans après le « pari » médical, la nouvelle vie de Priscille avec son bras bionique
HANDICAP•Amputée du bras droit, Priscille Deborah vit depuis deux ans avec une prothèse bionique contrôlée par la pensée. Un second patient sera opéré à Nantes le 19 marsFrédéric Brenon
L'essentiel
- Priscille Deborah a été opérée grâce à la chirurgie TMR le 21 novembre 2018 à la clinique Jules-Verne à Nantes.
- Il s’agissait alors d’une première en France. Une seconde intervention est prévue le 19 mars dans cette même clinique.
- La mère de famille albigeoise a retrouvé des gestes fluides au quotidien.
Elle était considérée comme une « prouesse médicale », un « pari » même, puisqu’elle n’avait jamais été pratiquée en France et reste rare dans le monde. Un peu plus de deux ans après la toute première pose d’un bras bionique, une seconde opération de même nature sera réalisée le 19 mars à la clinique Jules-Verne à Nantes, annonce l’établissement de santé. L’objectif sera identique : permettre à un patient amputé, en l’occurrence un homme âgé de 41 ans, de bénéficier d’une prothèse qu’il pourra contrôler par la pensée. Les nerfs sectionnés de son moignon seront réactivés pour transmettre au bras robotisé les mouvements commandés par le cerveau.
Priscille Deborah, 46 ans, a été la première à faire l’objet de cette procédure chirurgicale innovante dite TMR (Targeted muscle reinnervation). Cette mère de famille installée dans le Tarn s’en souvient avec émotion. « J’avais hâte mais, en même temps, je savais qu’il y avait des risques. Ceux liés à une grosse opération, bien sûr, mais surtout le risque que ça ne fonctionne pas. J’attendais depuis cinq ans. J’avais beaucoup d’espoirs. » Le porteur du projet, Edward de Keating Hart, chirugien de la main et des nerfs périphériques, ne nie pas « l’énorme pression ». « C’est une chirurgie complexe, très spécifique. On s’y préparait depuis longtemps, on l’avait annoncé dans toute la France. Il ne fallait pas se rater. »
« Ses progrès sont spectaculaires »
Aujourd’hui, au terme de deux années de rééducation « hyper exigeante » à Nantes, l’expérience est considérée comme « une réussite ». Priscille porte quotidiennement sa nouvelle prothèse et a recouvré des gestes qu’elle n’effectuait plus. « Je peux faire la cuisine, couper de la viande, ranger la vaisselle, poser un vêtement sur un cintre, décacheter une enveloppe… Je peux refaire du sport, du badminton, de l’équitation. C’est énorme. Rien à voir avec mon ancienne prothèse que je ne portais plus tellement l’usage était compliqué et fatiguant », confie celle qui a perdu deux jambes et son bras droit lors d’un « accident de la vie » en 2006.
L’artiste peintre, qui vit de sa passion, sollicite aussi son bras bourré d’électronique pour tenir des pots ou manier des tubes, avant, espère-t-elle, de « peindre à nouveau du bras droit ». « Ses progrès sont spectaculaires. Elle a des mouvements naturels, fluides, presque comme si elle avait retrouvé un membre. Cela récompense une personnalité déterminée », se félicite Edward de Keating Hart.
Les résultats n’ont pas été immédiats après l’opération. Ils ont nécessité des séances quotidiennes de rééducation fine, de kinésithérapie, de renforcement musculaire, d’exercices adaptés, de réglages de prothèse. Souvent avec des progrès, parfois avec des échecs. « Il y a eu quelques moments de découragement mais j’étais portée par une équipe médicale extrêmement positive. Je n’avais pas le droit de flancher. Chaque nouvelle étape franchie était une victoire », raconte la quadragénaire.
Le coût de la prothèse reste un « gros problème »
Se considérant « chanceuse », Priscille Deborah, qui apprécie « l’image positive » renvoyée par le mot bionique, consacre désormais une partie de son temps à partager son histoire, à donner des conférences, à renseigner les porteurs de handicap, notamment ceux en attente d’une prothèse. Son récit fera même l’objet d’un livre à paraître début avril (Une vie à inventer). « Il fallait une pionnière. J’espère maintenant qu’il y aura plein d’autres bénéficiaires et que mon témoignage pourra leur être utile », justifie l’Albigeoise.
Depuis l’opération, le docteur de Keating Hart est effectivement sollicité par « beaucoup de patients » candidats. Tous souhaiteraient voir la technologie TMR se démocratiser. Mais ils se heurtent à un obstacle : le coût élevé de la prothèse bionique. Environ 80.000 euros en moyenne, faiblement remboursés par l’Assurance maladie. Priscille Deborah, dont l’équipement coude-main articulée a coûté le double, a dû compter sur la générosité de donateurs et mécènes pour financer. « Les appareillages sont chers mais il faut aussi que la prise en charge s’améliore, insiste le praticien de la clinique Jules-Verne. Le coût pour les patients limite beaucoup les possibilités. On peut leur proposer la chirurgie mais avec du matériel moins bon que la dernière prothèse conçue pour cette chirurgie. C’est le gros problème. » « Cette technologie n’est pourtant pas un luxe, défend Priscille Deborah. Elle permet à la personne handicapée de gagner en autonomie. Et donc d’être mieux intégrée à la société. »