Paris : « Il m’a demandé si je me masturbais », les étranges interrogatoires de l’ancien proviseur de Saint-Jean-de-Passy
EDUCATION•D’anciens élèves de Daniel Chapellier, mis en examen pour « agression sexuelle » sur un collégien, se souviennent avoir été interrogés sur leur sexualité. Mais il s’agissait à chaque fois de les réprimander, assurent-ilsCaroline Politi
L'essentiel
- Daniel Chapellier, qui avait pris la tête du groupe scolaire catholique Saint-Jean-de-Passy est mis en examen pour « agression sexuelle » sur un collégien.
- Lui nie fermement les faits et a démissionné pour préparer sa défense.
- 20 Minutes a contacté trois anciens élèves de Daniel Chapellier d’un autre établissement parisien très select, Stanislas qu’il a dirigé de 2003 à 2015. Ils rapportent des propos déplacés.
Au printemps dernier, le groupe scolaire Saint-Jean-de-Passy, dans le très chic 16e arrondissement de Paris, se trouvait plongé dans la tourmente après le départ fracassant de son ancien directeur, François-Xavier Clément, mis en cause pour des pratiques managériales musclées, flirtant avec le harcèlement. Alors que l’enquête préliminaire vient tout juste d’être classée sans suite, c’est dans un scandale d’une toute autre ampleur qu’est aujourd’hui pris cet établissement catholique : Daniel Chapellier, le directeur par interim depuis cet été, a été mis en examen, jeudi, pour « agression sexuelle » sur un collégien.
Au début du mois de février, les parents de cet élève de 14 ans, ont déposé une plainte après que ce dernier leur a confié avoir été la cible de gestes et de propos déplacés lors d’un entretien dans le bureau de Daniel Chapellier, 71 ans dont plus de 50 passés dans l’enseignement catholique. Selon son récit, il lui aurait notamment demandé de pratiquer une fellation. Des accusations que nient fermement l’intéressé qui a indiqué, par la voix de son avocat, Me Yassine Yakouti, avoir porté plainte pour « dénonciation calomnieuse ». « Mon client dénonce fermement les accusations portées à son encontre », insiste son conseil, précisant que, depuis la médiatisation de l’affaire, cette figure de l’enseignant catholique a reçu « des milliers » de témoignages de soutien d’anciens élèves.
« J’ai esquivé la question »
Contactés par 20 Minutes, trois anciens élèves d’un autre établissement parisien très select – Stanislas, dirigé par Daniel Chapellier de 2003 à 2015 – rapportent néanmoins des propos déplacés. A l’instar d’Arthur, la trentaine aujourd’hui, qui a quitté l’établissement en 3e, en 2006. Le jeune homme assure avoir été convoqué à trois reprises dans le bureau du directeur au cours de son collège, toujours pour des questions de discipline. Il lui est notamment régulièrement reproché de « parler aux filles » à la récréation, ce qui était, assure-t-il, « mal vu » dans cet établissement dont une partie des classes ne sont pas mixtes. « Vers 13 ou 14 ans, Daniel Chapellier m’a demandé si je me masturbais, se remémore-t-il. Je ne me souviens plus précisément du contexte mais j’ai esquivé la question. » Il se souvient néanmoins ne pas avoir été « particulièrement surpris » lorsque la question a surgi au milieu de réprimandes. « J’avais entendu d’autres élèves en parler avant. »
Hugo Broyer, non plus, n’est pas tombé des nues lorsqu’au détour d’une conversation sur ses notes, en 5e, Daniel Chapellier l’a interrogé. « On y avait presque tous droit, assure celui qui a quitté l’établissement en 2015, après sa seconde. On en parlait avec les copains, on préparait des réponses pour ne pas être pris au dépourvu. » Près de dix ans après, le jeune homme se souvient parfaitement de cette entrevue. « Il savait que j’avais un iPod sur lequel je pouvais aller sur Internet et a commencé à me demander, sous couvert de la baisse de mes notes, sur quel site j’allais, si je savais ce que je faisais les ados le soir. C’était très inquisiteur, je savais qu’il fallait tout nier en bloc parce qu’à Stanislas la sexualité est un énorme tabou. » Au-delà des réprimandes, le collégien craint de perdre la bonne image que Daniel Chapellier a de lui.
Aucun geste déplacé
Aucun des trois élèves interrogés ne garde un souvenir traumatisant ou douloureux de ce questionnement pourtant si intime. « Aujourd’hui, vous me posez la question, je ne trouve pas ça normal, insiste C., 27 ans. Mais à l’époque, on en riait entre nous, on n’avait pas de point de comparaison. » Tous trois précisent qu’à aucun moment, ils n’ont constaté de gestes déplacés ou même de propos laissant penser à une « invitation ». Selon leur récit, les questions au sujet de la masturbation étaient plus de l’ordre du « reproche ». « C’était du style on a des problèmes de comportements parce qu’on se masturbe », insiste Arthur. Des trois, il est le seul à garder à un mauvais souvenir de Daniel Chapellier. « Autant ce rendez-vous ne m’a pas marqué, autant je me souviens du harcèlement moral et des humiliations. Il me répétait par exemple que j’étais un raté parce que mes parents étaient divorcés. »
Plusieurs témoignages similaires ont circulé ce week-end sur les réseaux sociaux. D’autres élèves, en revanche, affirment ne jamais avoir entendu parler de tels « interrogatoires » menés par Daniel Chapellier. « Beaucoup d’élèves ont peur de lui nuire, ou même de nuire à l’image de Stan », estime C. L’avocat du proviseur s’est refusé à tout commentaire sur ce point, précisant simplement que le dossier ne comportait aucun témoignage de cette nature. « Mon client n’a ni à répondre à la justice médiatique, ni à celle des réseaux sociaux » a insisté Me Yassine Yakouti. Le proviseur a démissionné de ses fonctions afin de préparer sa défense.