#SciencesPorcs : « Les grandes écoles ne veulent absolument pas mettre le sujet des violences sexuelles sous le tapis »
INTERVIEW•Susan Nallet, qui coanime le groupe de travail Égalité femmes-hommes de la Conférence des grandes écoles (CGE), réagit à la libération de la parole des étudiant(e) s victimes de violences sexistes et sexuellesPropos recueillis par Delphine Bancaud
L'essentiel
- Depuis lundi, les témoignages d’étudiantes d’Instituts d’études politiques affluent sur Twitter pour dénoncer des viols et agressions sexuelles survenus dans leurs écoles.
- Susan Nallet, qui coanime le groupe de travail Égalité femmes-hommes de la Conférence des grandes écoles, explique à 20 Minutes les mesures qui ont été mises en œuvre dans les établissements pour protéger les victimes et prévenir les violences sexistes et sexuelles.
- Et ce qu’il faudrait développer dans la lutte contre ce fléau.
Une onde de choc pour les grandes écoles. Depuis lundi, les témoignages d’étudiant(e) s d’Instituts d’études politiques affluent sur Twitter, avec le hashtag #sciencesporcs, pour dénoncer des viols et agressions sexuelles survenus dans leurs écoles. Une enquête préliminaire a été ouverte pour viol à Toulouse, deux pour agressions sexuelles à Grenoble et un signalement à la justice à Strasbourg.
Susan Nallet, qui coanime le groupe de travail Égalité femmes-hommes à la Conférence des grandes écoles (CGE), répond aux critiques formulées à l’encontre de certains établissements, accusés de ne pas suffisamment protéger les étudiantes et les étudiants victimes de violences sexistes et sexuelles.
Comment les directrices et directeurs des grandes écoles ont-ils réagi à la déferlante de témoignages d'étudiantes et d’étudiants ayant subi des agressions sexuelles ?
Nous sommes évidemment très marqués par ces révélations et nous trouvons très sain que la parole sur les violences sexistes et sexuelles se libère enfin. Les grandes écoles ne veulent absolument pas mettre ce sujet sous le tapis.
Pourtant, des étudiants estiment que certaines directions ont passé sous silence certains actes pour préserver la réputation de leur école. Que leur répondez-vous ?
Cela a pu être le cas par le passé, mais ce n’est pas la tendance actuelle. Car les directions ont conscience de l’impact de ces agressions sur la vie des victimes. Elles n’ont par ailleurs aucun intérêt à cacher ces affaires, car le cas échéant, elles en seront tenues pour responsables. Et les retombées médiatiques seront énormes, comme on a pu le constater avec l’affaire Duhamel, qui a entraîné la démission de Frédéric Mion.
Pouvez-vous mesurer l’ampleur des agressions sexuelles qui ont lieu dans les grandes écoles ?
Nous ne disposons pas de statistiques consolidées sur le sujet, mais nous savons que les soirées étudiantes, les séminaires d’intégration, les périodes de campagnes pour les BDE (bureaux des élèves) ou les stages en entreprise peuvent être des moments à risques. Et les répercussions sur les victimes sont très importantes : décrochage scolaire, dépression, conduites d’évitement, maladies somatiques… Nous sommes d’ailleurs très attentifs aux changements de comportements brutaux chez les étudiantes et les étudiants.
Quelles mesures ont été prises dans les écoles pour permettre aux victimes de parler ?
Selon le baromètre annuel de la CGE sur l’égalité femmes-hommes, les deux tiers des établissements répondants (66,2 %) déclarent disposer d’une cellule chargée de traiter les situations de harcèlement sexuel ou de comportements sexistes ; ils étaient seulement 46 % il y a trois ans. Ces cellules sont soit internalisées, soit externalisées et peuvent être sollicitées par téléphone, mail ou sur rendez-vous. Et 72,5 % des cellules ont été saisies au moins une fois dans les douze mois.
Elles pourraient l’être encore davantage, ce qui nous incite à multiplier la communication autour d’elles. D’autant que les victimes ont du mal à parler : en raison de l’état de sidération dans lequel elles sont après une agression et aussi parce qu’elles ont peur d’être étiquetées à l’école en dénonçant un autre étudiant. Certaines écoles ont aussi mis en place des étudiants référents sur les questions de violences sexistes et sexuelles et il faudrait les développer. Car c’est parfois plus facile de parler à une personne de son âge.
Comment réagit la direction d’une école lorsqu’elle a vent de violences sexistes ou sexuelles ?
Nous entendons la victime, puis la personne mise en cause pour mener une instruction contradictoire. En fonction des faits, nous décidons des mesures conservatoires, des sanctions disciplinaires ou de signaler les faits au procureur. Dans de nombreux cas moins graves, l’écoute, l’accompagnement et la médiation peuvent répondre à la demande de la victime.
En attendant que la justice fasse son travail, certaines victimes sont contraintes à croiser leur agresseur sur le campus…
Les écoles font généralement en sorte que la victime ne soit plus en contact avec son agresseur, quitte à changer ce dernier de groupe pour les cours. Et nous veillons à protéger les témoins car ils peuvent subir des pressions de la part de l’agresseur.
Le travail de prévention de ces violences sexistes et sexuelles ne semble pas suffisant dans toutes les écoles…
Il faut, dès la rentrée, afficher une tolérance zéro vis-à-vis de tout comportement inapproprié et expliquer les sanctions que l’on encourt si on dépasse la limite. Beaucoup d’écoles font de la sensibilisation sur la notion de consentement, via des vidéos postées sur leur intranet ou des conférences. Il faut généraliser ce type d’initiatives. Et répéter ces messages plusieurs fois dans l’année, pour que les étudiants les intègrent totalement. Une fois ne suffit pas.
Et comment mieux contrôler les soirées étudiantes, qui se déroulent souvent en dehors des murs de l’école ?
Nous avons formé les présidents des BDE et des associations qui organisent ces soirées à la problématique des violences sexuelles et aux conséquences des conduites addictives. Certaines associations désignent des étudiants vigies, chargés de mettre en sécurité les étudiants en vulnérabilité lors de ces soirées. Il faut multiplier ce type de démarches.