Coronavirus : L'analyse des eaux usées est-elle un indicateur « grossier » de la circulation du Covid-19 ?
FAKE OFF•Les propos de l’infectiologue Karine Lacombe sur l’analyse des eaux usées dans le suivi de l’épidémie de Covid-19 ont provoqué la surprise de plusieurs internautesAlexis Orsini
L'essentiel
- Est-il pertinent de recourir à l'analyse des eaux usées pour observer l'évolution épidémique du Covid-19 ?
- Interrogée à ce propos sur LCI dimanche, l'infectiologue Karine Lacombe s'est montrée assez nuancée sur la précision de ces données : « C’est un indicateur qui est très intéressant mais c’est un indicateur qui est quand même grossier. Il ne permet pas de savoir exactement où l’épidémie a ralenti, où l’épidémie a repris. »
- Pourtant, les eaux usées permettent bien de localiser, au sein d'une ville, les zones où le virus circule activement.
Dimanche 31 janvier, pour justifier la décision du gouvernement de ne pas mettre en place un troisième confinement destiné à ralentir l’épidémie de Covid-19, Olivier Véran citait plusieurs indicateurs désormais bien connus : taux d’incidence (le nombre de nouveaux cas quotidiens), nombre d’entrées en réanimation… Mais aussi, de manière plus inattendue, les « traces de virus dans les eaux usées », en « baisse » en Ile-de-France. Si cette méthode est utilisée avec succès depuis près d’un an dans différentes zones du territoire, elle ne compte pas forcément parmi les données d’analyse de l’épidémie les plus mises en avant.
Interrogée plus tard dans la journée sur LCI au sujet de la pertinence de cet indicateur, la cheffe du service d’infectiologie de l’hôpital Saint-Antoine, Karine Lacombe, se montrait d’ailleurs assez réservée : « C’est un indicateur qui est très intéressant mais c’est un indicateur qui est quand même grossier. Il ne permet pas de savoir exactement où l’épidémie a ralenti, où l’épidémie a repris. »
« C’est l’un des indicateurs qu’on met dans la balance, comme le nombre de [cas] positifs tous les jours, le nombre de personnes qui arrivent en réanimation… On voit que là, on est plutôt au-dessus du seuil des 3.000 qu’on ne voulait pas dépasser […]. Est-ce que cet indicateur-là est moins important que celui des eaux usées ? On se pose la question », concluait-elle.
De quoi provoquer l’incrédulité de plusieurs internautes, certains relayant cet extrait sur Twitter aux côtés d’une carte de Marseille réalisée par les marins-pompiers de la ville, distinguant plusieurs zones urbaines selon que leurs eaux usées témoignent d’un niveau « faible », « modéré », « élevé » ou « très élevé » de coronavirus.
FAKE OFF
« Je pense que l’affirmation de Karine Lacombe témoigne d’une mauvaise connaissance de l’analyse des eaux usées. Il s’agit d’une méthode d’analyse globale plutôt que "grossière" », estime Vincent Maréchal, professeur en virologie à Sorbonne Université et cofondateur de l’Observatoire épidémiologique dans les eaux usées (Obépine) – dont il avait récemment détaillé le fonctionnement à 20 Minutes.
« Ce qu’on mesure dans les eaux usées, c’est le virus excrété par les gens malades ou asymptomatiques. La question qu’il faudrait plutôt poser, c’est : "Est-ce que les eaux usées sont prédictives ou non de ce que l’on peut voir à travers les autres indicateurs de circulation du virus, tels que le taux d’incidence ?" Il a été démontré, à plusieurs reprises, que c’était le cas, par exemple fin juin 2020, puisque l’augmentation graduelle de virus dans les eaux usées d’Ile-de-France annonçait la deuxième vague, confirmée ensuite par le nombre d’hospitalisations », explique le spécialiste.
De la même manière, les études réalisées au sein de la station d’épuration de l’île d’Yeu, à une bien plus petite échelle, ont permis d’établir une « oscillation du virus correspondant aux flux de touristes ». « Il y a une véritable corrélation entre la charge virale décelée dans les eaux usées et ce qui se passe dans la population », ajoute Vincent Maréchal.
Les différentes courbes d’analyses des eaux usées disponibles sur le site du réseau Obépine, réalisées pour de nombreuses grandes agglomérations, concordent ainsi avec le taux d’incidence au fil des mois, comme on peut par exemple le voir en se focalisant sur la ville de Nancy (Meurthe-et-Moselle), dans le Grand Est.
Un ciblage zone par zone plus « judicieux » quand le virus circule « peu »
Il est en outre possible d’établir des données plus précises sur certaines zones ou dans des quartiers bien précis, même si le réseau national présente de grandes disparités à ce niveau-là, comme le souligne Vincent Maréchal : « Plus on entre dans les réseaux plus on peut localiser précisément les charges virales mais cela dépend des structures. Ces analyses sont extrêmement dépendantes de l’organisation du réseau d’eaux usées, certains sont faciles d’accès, d’autres beaucoup moins. »
Selon le spécialiste, le fait de se focaliser sur des zones bien précises n’est cependant pas forcément des plus pertinents lorsque le virus circule très activement : « Je rejoins l’analyse de Karine Lacombe en ce qui concerne Marseille. Les marins-pompiers communiquent depuis janvier sur la circulation très active du virus en la détaillant zone par zone alors que les relevés sur le long cours montrent qu’une telle circulation a cours depuis un moment dans toute la ville. Lorsque le virus circule activement, il n’y a pas un grand intérêt à regarder précisément quartier par quartier ou zone par zone. C’est plus judicieux quand il circule peu puisque cela permet de repérer les lieux concernés et d’intervenir, en y multipliant les tests ou en incitant à l’isolement. »
Contactés par 20 Minutes, les marins-pompiers de Marseille, chargés de cette analyse, n’avaient pas donné suite à nos sollicitations avant la parution de l’article. Début janvier, ils nous expliquaient cependant étudier les eaux usées au niveau de la station d’épuration située sous le stade Vélodrome pour en tirer une tendance globale, ensuite complétée par une cartographie hebdomadaire complète de la ville (distinguant 37 secteurs au total).
« Les eaux usées restent un indicateur parmi d’autres, qui ne doit pas se substituer aux autres et encore moins à ceux de la population : ce sont deux bras différents à utiliser, alors que les médecins ont peut-être trop tendance à se baser sur le suivi symptomatique des malades », conclut Vincent Maréchal.