Pourquoi le burn-out parental est-il si tabou en France ?
FAMILLE•Un documentaire, diffusé dimanche sur M6 dans l’émission « Zone Interdite », analyse ce phénomène sociétal, encore trop souvent passé sous silence en FranceDelphine Bancaud
L'essentiel
- Dans un documentaire qui sera diffusé sur M6 dimanche dans l’émission Zone Interdite, des pères et des mères reconnaissent être victimes de burn-out parental, un syndrome d’épuisement extrême.
- Certains parents s’épuisent à vouloir atteindre un modèle familial idéal.
- Et les structures qui leur viennent en aide sont trop peu nombreuses en France.
«Je n’ai plus envie de rentrer à la maison », confesse Laëtitia, mère d’un petit garçon de 5 ans qui lui répond sans cesse et enchaîne les colères. « Notre enfant est très difficile à gérer au quotidien », reconnaissent Aurélie et Mathieu, parents d’un garçon de 8 ans atteint de troubles de l’attention, qui défie sans cesse leur autorité. « Un jour, je n’ai pas réussi à me lever, mon corps s’est bloqué. Mon médecin m’a fait un arrêt de travail de plusieurs mois pour que je me repose. Il m’a dit que j’avais littéralement implosé », déclare de son côté Alba, qui vit à 100 à l’heure entre son boulot et ses quatre enfants.
Pour la première fois, un documentaire (qui sera diffusé dimanche sur M6 à 21h05, dans l’émission Zone Interdite) lève le voile sur une réalité dérangeante, le burn-out parental. Un phénomène qui touche toutes les classes sociales et qui se manifeste à travers une intense fatigue physique et psychique, doublée d’un sentiment d’impuissance. « Cela peut conduire, dans les cas les plus graves, à des dépressions lourdes. On craque et on ne peut plus se lever le matin. Il n’est pas rare non plus que cet épuisement parental conduise à des séparations », explique Etty Buzyn*, psychologue clinicienne et psychanalyste. Cet état de fatigue extrême peut aussi avoir des répercussions lourdes sur les enfants et entraîner des violences à leur égard ou à une forme de détachement envers eux. « On sait aussi que le phénomène touche surtout les parents d’enfants de moins de 5 ans », indique Delphine Cinier, la réalisatrice du documentaire.
« Ceux qui en souffrent n’en parlent pas car ils ont peur d’être jugés »
Depuis le début de la crise sanitaire, l’épuisement parental semble en expansion, selon Etty Buzyn : « La vie professionnelle est en refuge pour certains parents. Avec la massification du télétravail et la réduction des interactions sociales, les parents se retrouvent beaucoup plus souvent en vase clos avec leurs enfants. Et quand la relation était déjà difficile, elle peut l’être encore davantage ». Or, le sujet est encore largement tabou en France. « On ne dispose d’ailleurs pas de chiffre à ce propos. Alors qu’en Belgique, on sait que le burn-out touche 8 % des parents, selon les chiffres de l’étude de l’Université catholique de Louvain. Une campagne de sensibilisation gouvernementale a même été lancée sur le sujet », souligne Delphine Cinier.
Les parents concernés cachent eux-mêmes leur épuisement comme une maladie honteuse qu’on tait aux proches. « Ceux qui en souffrent n’en parlent pas car ils ont peur d’être jugés, d’apparaître comme des parents qui ne supportent pas leurs enfants ou ne savent pas les élever », estime Etty Buzyn. Même si ce sont généralement les femmes qui sont les plus touchées, les pères ne sont pas épargnés et en parlent encore moins. Le documentaire montre d’ailleurs très bien l’épuisement de deux pères qui n’arrivent pas gérer. L’un d’eux confie même avoir quitté le domicile familial pendant un temps. « Les parents que j’ai rencontrés s’excusent sans cesse. La culpabilité les habite », ajoute Delphine Cinier.
Une représentation idéalisée de la parentalité
C’est aussi la course à la parentalité parfaite sévissant à notre époque qui empêche certains de dire qu’ils n’y arrivent plus, observe Delphine Cinier : « Sur Instagram, les parents sont beaux et entourés d’enfants souriants et l’ éducation positive est portée aux nues. Plus rares sont ceux qui racontent leurs nuits entrecoupées et les colères de leurs enfants. Comme si l’enfant était la vitrine sociale du couple ». La réalisatrice a d’ailleurs eu du mal à trouver des parents acceptant de témoigner à visage découvert et les a suivis pendant un an pour les mettre en confiance. « L’enfant est le porte-drapeau de la famille. Et les parents se mettent une pression incroyable pour qu’il réussisse scolairement, qu’il fasse plein d’activités… A cela s’ajoute le travail et la charge mentale des mères. D’ailleurs, l’épuisement parental touche souvent des personnes qui surinvestissent leur rôle de parents », souligne Etty Buzyn.
Le fait que ce problème de société soit nettement sous évalué dans notre pays n’est pas sans conséquence : il est moins pris en charge que dans d’autres pays. Et les solutions proposées aux parents épuisés pour éviter un burn-out sont trop rares, souligne Etty Buzyn : « Certes, il existe des psys spécialisés sur la question, mais trop peu d’associations ou des maisons des parents proposent des groupes de parole ». Le documentaire montre les relais parentaux de la Croix-Rouge, où les parents débordés peuvent confier leurs enfants, pour une prise en charge 24 heures sur 24 et qui peut durer jusqu’à 2 mois. « Mais il n’en existe qu’une dizaine à travers la France », déplore la réalisatrice. Selon elle, les pouvoirs publics devraient soutenir ce type de structure et travailler en amont : « Il y a des cours de préparation à l’accouchement, mais pas de parentalité. Je pense qu’ils seraient nécessaires pour soutenir ceux qui vont avoir un enfant », insiste-t-elle.