Coronavirus : Non, l’ivermectine n’est pas un médicament « très efficace » contre la maladie
FAKE OFF•Selon ses défenseurs, l'ivermectine serait efficace contre le Covid-19 à tous les stades de la maladieAlexis Orsini
L'essentiel
- La France, comme de nombreux pays à travers le monde, occulte-elle un médicament bon marché et répandu qui a prouvé son efficacité contre le Covid-19 ?
- C’est ce que soutiennent, études à l’appui, les promoteurs de l’ivermectine, un antiparasitaire utilisé contre la gale.
- Mais ces travaux ne prouvent en rien l’efficacité de ce médicament contre le Covid-19, comme l’expliquent plusieurs spécialistes à 20 Minutes. Des études sont toutefois en cours, qui n’excluent pas des effets bénéfiques modérés.
«De plus en plus d'études [le] disent: [l’]ivermectine est TRÈS EFFICACE pour guérir tous les stades de Covid-19. Cet antiparasitaire est bon marché, très répandu, sans contre-indication ni effet nocif. Dans combien de jours Olivier Véran et l’Agence nationale de sécurité du médicament vont-ils l'interdire ? »
Pour François Asselineau, le président de l’Union populaire républicaine (UPR), c’est une évidence : ce médicament habituellement utilisé contre certains parasites serait la solution idéale pour soigner les malades du Covid-19, comme il entend le prouver en relayant un long article consacré à différentes études sur le sujet.
Et il est n'est pas le seul à l’affirmer, puisque nombre d’internautes vantent – pour certains depuis le printemps dernier – l’efficacité de l’ivermectine contre le Covid-19, qui serait, comme l’hydroxychloroquine à l’époque, attestée et pourtant non utilisée par les autorités sanitaires.
FAKE OFF
Bien avant d’être envisagé en association avec le Covid-19, l’ivermectine était surtout connu pour son utilisation dans des traitements contre la gale, puisqu’il permet d’éliminer les parasites concernés, mais aussi dans des soins vétérinaires, contre les larves et autres poux. Ce médicament est « sans danger et peut être utilisé à grande échelle », comme le souligne l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur son site.
Mais la parution, début avril 2020, d’une étude australienne, a alimenté les espoirs de le voir utilisé contre le Covid-19. Les chercheurs du Royal Melbourne Hospital et de l’université Morash y montraient en effet que l’ivermectine avait considérablement réduit la charge du Covid-19 en 48 heures lors de leur test en laboratoire (in vitro) sur une cellule.
Un essai en laboratoire sur un « modèle non pertinent »
Un résultat encourageant, puisqu’il diminuait le potentiel de réplication du virus, mais nullement garant d’une efficacité sur l’homme, comme l’explique à 20 Minutes Mathieu Molimard, pharmacologue et pneumologue, membre du conseil scientifique du site de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) : « Ce qui fait penser à certains que l’ivermectine pourrait agir contre le Covid-19, c’est qu’il est actif in vitro sur la cellule Vero, une cellule de rein de singe en culture. Mais elle s’est avérée être un très mauvais modèle pour explorer le SARS-CoV-2 car les mécanismes nécessaires à l’action du virus dans les cellules humaines ne sont pas présents dans cette cellule, à cause d’une enzyme absente. »
Dominique Costagliola, directrice de recherche à l’Inserm, spécialisée en épidémiologie, confirme : « L’ivermectine a été testé sur des cellules vero, et il a été montré, comme dans le dans le cas de l’hydroxychloroquine, que ce modèle n’était pas pertinent parce que les mécanismes d’action et d’entrée ne sont pas les mêmes en cellule vero et dans les cellules de l’épithélium pulmonaire [toucées par le Covid-19]. »
De manière générale, des essais réussis en laboratoire sont loin de garantir l’efficacité sur l’homme, rappelle Mathieu Molimard : « Le problème de l’in vitro, c’est qu’en général, quand on a une molécule active à des concentrations compatibles avec une activité clinique, on a déjà moins d’une chance sur 250 que cela aboutisse à un médicament à la fin », poursuit le pharmacologue. Et d’ajouter : « L’ivermectine, c’est l'équivalent de l’hydroxychloroquine : comme elle, elle marche in vitro sur des virus comme zyka ou la dengue, mais n’a jamais eu aucun effet clinique sur aucune de ces maladies. La piste de l’ivermectine n’a pas à être priorisée. »
Des études observationnelles non concluantes
Les promoteurs de l’ivermectine – autorisée notamment en mai en Bolivie dans les traitements anti-Covid par le ministère de la Santé, en précisant que le médicament n'avait « pas été validé scientifiquement pour le traitement du coronavirus » – n’ont en outre pas manqué de mettre en avant, ces derniers mois, nombre d’études observationnelles censées prouver son efficacité in vivo (sur un organisme vivant). A l’instar d’ une étude française parue en décembre 2020 à partir d’observations réalisées dans un Ehpad où une soixantaine de résidents avait reçu de l’ivermectine pour faire face à des cas de gale.
« Tous les cas observés de Covid-19 dans l’Ehpad-A "traité" par [ivermectine] étaient mineurs, sans décès durant la période d’étude, alors que les résidents des Ehpad "contrôles" (sans ivermectine) […] ont montré une fréquence de Covid-19 et une mortalité plus élevées. L’ivermectine pourrait avoir un rôle protecteur [...] conforté par l’étude virologique. Malgré les limites – caractère observationnel et absence de corrélation démontrée in vitro/in vivo –, la plausibilité est suffisante pour réaliser un essai contrôlé randomisé en cluster de prévention par ivermectine et Moxidectine en Ehpad », concluait l’étude, reconnaissant de fait elle-même la nécessité de réaliser des essais à une échelle plus pertinente pour étudier ce qui n’était qu’une « plausibilité » réalisée sur un tout petit échantillon.
Si le site « C19Ivermectin », mentionné par nombre de défenseurs de l’ivermectine, prétend lister toutes les études réalisées à travers le monde allant en ce sens, « la grande majorité sont des prépublications, qui n’ont pas été validées par leurs pairs », souligne Mathieu Molimard, avant d’ajouter : « Il y a aussi eu un essai d’ivermectine chez le hamster, qui a montré qu’il n’y avait pas d’activité antivirale. Chez le macaque non plus, on n’arrive pas à avoir les concentrations nécessaires, même en augmentant les doses. »
Une étude observationnelle publiée en octobre dans la revue Chest, réalisée entre des patients Covid-19 traités avec ivermectine et des patients pris en charge sans ce médicament dans des hôpitaux de Floride, est également souvent citée pour montrer les effets supposés de la molécule. « Mais comme souvent dans ce type d’étude, le J-0, c’est-à-dire la date à laquelle on randomise le patient et commence le traitement, est mal défini », explique Dominique Costagliola.
« Si je commence à étudier les patients traités avec de l’ivermectine cinq jours après leur arrivée à l’hôpital, et ceux sans ivermectine dès leur arrivée à l’hôpital, leur situation a forcément le temps de s’aggraver au cours de ces cinq jours d’écart. Donc je désavantage le groupe de comparaison à travers ce qu’on appelle un "biais d’immortalité". Si j’avais été relectrice de cet article dans Chest, il n’aurait pas été publié », affirme Dominique Costagliola, justement spécialisée dans l’évaluation des traitements en situation observationnelle.
« L’étude a montré une diminution de la mortalité dans le groupe des patients recevant de l’ivermectine, mais pas de la durée d’hospitalisation ni des besoins en ventilation. Surtout, 40 % des personnes qui recevaient de l’ivermectine étaient aussi traitées par corticoïdes, à l’efficacité prouvée, contre 20 % dans l’autre groupe donc on ne peut rien en conclure », ajoute Mathieu Molimard.
En outre, le site « Meta Evidence », qui permet, grâce au travail du centre hospitalier universitaire de Lyon et du Laboratoire de biométrie et biologie évolutive de l’université de Lyon, de vérifier l’efficacité (et les risques) des différents traitements en cours de développement contre le Covid-19, permet de constater que l’ivermectine n’a pas fait ses preuves. Quel que soit le stade auquel il est administré aux patients et la gravité de leurs symptômes, les résultats thérapeutiques des études en question s’avèrent soit « non concluants », soit « risqués sans bénéfice prouvé » et, dans le meilleur des cas, l’effet bénéfique de la molécule est « suggéré mais non prouvé ».
Des effets positifs possibles, mais pas de « mécanisme virologique »
Enfin, si l’annonce de la société pharmaceutique française MedinCell, jeudi 17 décembre, de premiers résultats positifs pour son étude clinique visant à « valider l'innocuité de l'ivermectine en administration continue » en vue d’un tirer un traitement préventif, est plutôt bon signe, elle ne préfigure pas pour autant de l’efficacité du médicament contre le Covid-19.
« C’est déjà bien que [les premiers résultats de MedinCell] ne soient pas délétères, mais cela prouve juste que leur solution n’est pas toxique, et rien sur son efficacité », explique Dominique Costagliola. « Est-ce qu’il peut avoir un effet immuno-modulateur [qui agit sur les réactions de notre système immunitaire] ? Peut-être, mais ça reste à prouver et cela concernerait plutôt les patients graves, à l’instar de la Dexaméthasone, qui a un impact sur la mortalité, notamment chez les patients qui sont sous oxygène donc déjà à un stade avancé de la maladie », ajoute la spécialiste.