LE TRAVAIL EN CRISE (3/5)« Les gens n'en ont plus rien à faire de nous », confie Antoine, éboueur

Coronavirus : « Les gens n’en ont plus rien à faire de nous »… La déception d’Antoine, éboueur à Paris

LE TRAVAIL EN CRISE (3/5)« 20 Minutes » se penche sur les vies professionnelles bousculées par le Covid-19. Cette semaine, rencontre avec Antoine, éboueur à Paris. Félicité pendant le premier confinement, il a le sentiment d’avoir ensuite été oublié
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Depuis le début de l’épidémie en mars, le coronavirus a brusquement stoppé l’activité de secteurs entiers de l’économie et bouleversé l’image de certaines professions.
  • Les éboueurs ont été félicités lors du premier confinement, étant reconnus comme étant des « travailleurs indispensables », des « héros du quotidien ».
  • Une reconnaissance dont a bénéficié Antoine, éboueur parisien. Mais il a le sentiment d’avoir été mis de côté ensuite, et estime que ses conditions de travail ne se sont pas améliorées.

«Ça ne servait à rien de nous applaudir pendant le premier confinement si c’était pour nous oublier ensuite », tempête Antoine *, éboueur à Paris. Sa colère aurait pourtant pu être atténuée par la fatigue. Car ce jour-là comme les autres, Antoine s’est levé à 5h du matin pour balayer et nettoyer les trottoirs de la capitale pendant plus de sept heures. Mais il n’en est rien. Les gestes de ce quinquagénaire sont vifs. Ses yeux lancent des éclairs par instants et sa voix tremble d’émotion.

Pourtant, au début de la crise du coronavirus, son métier, habituellement décrié, était regardé autrement. Au lieu d’être brandi par les parents comme une menace d’avenir lorsqu’ils veulent que leurs enfants travaillent bien à l’école, il était qualifié de « profession indispensable » dans les médias. Les éboueurs étaient décrits comme des « premiers de corvée ». Des « héros du quotidien », courageux et œuvrant pour le bien commun en bravant le risque sanitaire. « On parlait de nous en bien pour une fois, ça changeait. Car d’habitude, on nous traite de faignants, juste parce qu’on est fonctionnaire », commente Antoine.

« Des gens nous apportaient des gâteaux pour nos pauses »

Pendant cette période, même l’attitude des riverains a changé : « Ils venaient nous parler, nous saluer. Des jeunes, des vieux, qui savaient qu’on prenait des risques pour notre santé en travaillant. Des gens nous apportaient des gâteaux pour nos pauses. Même si on ne travaille pas pour récolter les "mercis", ça faisait chaud au cœur », confie celui qui travaillait auparavant dans la restauration. Certains de ses collègues qui collectent les déchets avaient même droit à des applaudissements, d’autres à des petits mots scotchés sur les poubelles.

Une reconnaissance du boulot de terrain qui s’était même manifestée par une prime de 35 euros net par jour attribuée aux éboueurs ayant bossé pendant la période du confinement. « Mais je n’étais pas dupe, je me doutais que cela ne durerait pas », tempère Antoine. Car dès la levée du [premier] confinement, finis les mots doux. Les incivilités dans la rue ont repris de plus belle. Et certains Parisiens ont recommencé à jeter leurs mégots ou leurs déchets sur le trottoir, sans un regard pour l’homme en tenue verte. Et même parfois devant lui. « Le 11 mai [date du premier déconfinement], en trois heures, j’avais déjà ramassé 30 masques. Qui étaient possiblement infectés… Pas d’accalmie dans le renouvellement des souillures dans les rues ! Les gens n’en ont plus rien à faire de nous. Ça ne leur viendrait à l’idée de dégueulasser chez eux, alors pourquoi le font-ils à l’extérieur ? », s’interroge-t-il. Et à son passage, certains riverains se sont à nouveau écartés, comme ils le faisaient avant : « C’est comme si j’étais sale moi-même. Alors que je ne fais que ramasser les ordures, je n’en suis pas une », rit-il jaune.

« J’ai choisi ce métier, même s’il est dur physiquement »

Au deuxième confinement, Antoine est encore descendu d’un étage : « Cette fois-ci, nous n’avons pas droit à une prime. Sans doute parce que nous sommes plus nombreux à bosser sur le terrain. Mais le coronavirus n’est pas devenu moins dangereux pour autant », s’offusque-t-il. D’ailleurs, ces dernières semaines, Antoine passe son temps à rassurer son fils adolescent, qui craint pour la sécurité de son père. « Je lui dis que je suis bien protégé. Même si je constate un relâchement des gestes barrières », confie-t-il. Et ses conditions de travail n’ont pas changé : « On a toujours plus de boulot et on est moins nombreux pour le faire. Avec la multiplication des pistes cyclables et l’agrandissement des trottoirs, le nombre de surfaces à nettoyer a beaucoup augmenté ces dernières années. Avec dix-sept ans d’ancienneté, je gagne 1.600 nets par mois, et le point d’indice qui sert à calculer ma rémunération est gelé depuis des années », souligne-t-il. Et comme ses collègues qui ont fait grève récemment, il redoute les conséquences de la loi de transformation de la fonction publique, qui devrait entrer en application à Paris en 2021. « On va perdre des jours de congé et de RTT », s’alarme-t-il.

A plus long terme, il craint aussi une privatisation des services de propreté de la ville. Une perspective à laquelle ne peut se résoudre ce fils d’ouvrier, attaché à la notion de service public. « J’ai la valeur travail chevillée au corps. J’ai choisi ce métier, même s’il est dur physiquement. La salubrité publique, c’est important. Ça participe au bien-être des habitants. Il serait temps que la société entière le comprenne ».

* Le prénom a été modifié. ​