Loi « sécurité globale » : Les menaces de mort à l’encontre des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux sont-elles vraiment impunies ?
FAKE OFF•Marine Le Pen a affirmé mercredi que la justice ne poursuivait « jamais » les auteurs de menaces de mort à l’encontre des policiers sur les réseaux sociaux. En réalité, 3.300 condamnations ont été prononcées par les juridictions de première instance en 2019Tom Hollmann
L'essentiel
- Dans une interview accordée à Sud Radio, mercredi 25 novembre, Marine Le Pen a affirmé que le ministère public ne poursuivait jamais les auteurs de menaces de mort à l’encontre des policiers sur les réseaux sociaux.
- Contacté par 20 Minutes, le ministère de la Justice a indiqué que 3.300 condamnations ont été prononcées par les juridictions de première instance en 2019. Un chiffre en augmentation.
- Malgré ces condamnations, un sentiment de malaise subsiste chez les forces de l’ordre, qui se sentent démunies face à ces menaces et à des procédures judiciaires complexes.
«Normalement, le ministère public devrait poursuivre tous ceux qui menacent de mort les policiers, quelle que soit la publication, ce n’est jamais fait ! » Invitée sur le plateau de Sud Radio mercredi dernier, Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (RN), s’est prononcée sur l’article 24 de la proposition de loi « sécurité globale », adopté vendredi 20 novembre par l’Assemblée nationale, avant que Christophe Castaner, le patron des députés LREM, n’annonce lundi une « nouvelle écriture complète de l’article 24 ».
Cet article – qui consiste à punir la diffusion d’images ou d’éléments d’identification de policiers ou de gendarmes lorsqu’ils sont en opération et qu’il y a intention manifeste de nuire à leur intégrité physique ou psychique – ne mérite ni « opprobre » ni « honneur » pour Marine Le Pen. Selon elle, l’arsenal législatif est déjà suffisant pour protéger les policiers. Le problème résiderait donc plutôt, selon elle, dans l’impunité des internautes qui menacent de mort les membres des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux.
Mais restent-ils vraiment impunis, comme l’affirme Marine Le Pen ?
FAKE OFF
Selon l’article 433-3 du Code pénal, les menaces proférées à l’égard « d’une personne dépositaire de l’autorité publique », comme les policiers, les gendarmes ou les magistrats, sont punies de trois ans de prison et de 45.000 euros d’amende. Internet n’étant pas une zone de non-droit, cet article du Code pénal reste évidemment applicable aux utilisateurs des réseaux sociaux, même sous pseudonyme.
Des sanctions sont d’ailleurs régulièrement prononcées par les tribunaux. Contacté par 20 Minutes, le ministère de la Justice fait savoir qu’en 2019, « 3.300 infractions de menace de mort ou d’atteinte aux biens dangereuse pour les personnes à l’encontre d’un dépositaire de l’autorité publique » ont fait l’objet de condamnations par les tribunaux correctionnels et juridictions pour enfants. Un nombre en augmentation ces dernières années, puisqu’en 2018 et 2017, on comptait 2.900 condamnations, et 2.600 pour l’année 2016.
Dans 87 % des cas, les auteurs ont écopé d’une peine d’emprisonnement, dont une partie ferme le plus souvent, dont la durée moyenne est « de 6 à 7 mois », toujours selon le ministère de la Justice. Il est donc faux d’affirmer que les parquets ne poursuivent « jamais » ceux qui « menacent de mort les policiers ».
« Toute prise de position sans nuance est abusive »
« Pour avoir défendu, à de nombreuses reprises, des fonctionnaires de police, je peux vous dire qu’ils sont très souvent déçus par les condamnations qui sont prononcées lorsqu’il y a des infractions commises à leur encontre », estime néanmoins Me Ariane Mineur. Pour cette avocate au barreau de Paris spécialisée dans la défense des forces de l’ordre, « toute prise de position sans nuance est abusive » : « Il est totalement faux de dire que la justice ne se saisit pas de ces affaires, mais il y a un manque manifeste de moyens, d’effectifs, et de sévérité ».
Une prise de position partagée par Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat de police Unité SGP police-FO, elle-même visée par des menaces de mort et de viol sur les réseaux sociaux. En février 2019, au terme de cinq mois de procédure, le tribunal de Bobigny a prononcé une peine de quatre mois de prison ferme « sans mandat de dépôt » et 1.000 euros de dommages et intérêts contre l’auteur des menaces. « Quatre mois qu’il n’a jamais fait… Et une amende qu’il n’a pas payée, puisqu’il n’était pas solvable, cingle-t-elle. Donc dire que la justice n’intervient pas, c’est faux, mais dire qu’elle n’apporte pas satisfaction aux forces de l’ordre, c’est vrai ! »
Un manque de soutien de la hiérarchie
« La fréquence de ces infractions les rend courantes, presque banales malheureusement », déplore Linda Kebbab. Selon elle, les agents visés ne sont pas suffisamment soutenus par le ministère de l’Intérieur. « Face à ces menaces, le policier est seul : c’est à lui de rendre compte de ces menaces, d’aller porter plainte et d’engager un avocat, comme un citoyen lambda, alors que ce devrait être à l’administration de s’en charger », explique la déléguée syndicale. Une position qu’elle a réitérée lundi matin lors d’une interview accordée à BFTMTV et RMC.
Une réflexion intéressante, pour la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, Lucille Rouet, jointe par 20 Minutes. Mais qui est toutefois révélatrice d’un problème plus large, selon elle : « Que les poursuites s’engagent au niveau ministériel, si ça peut simplifier la tâche aux forces de l’ordre, pourquoi pas ? Mais en réalité, cela démontre avant tout qu’il est encore bien trop compliqué, pour n’importe quel citoyen, de déposer plainte et d’entamer des procédures ».