Mort d’un élève à Saint-Cyr : Le récit de la nuit de « bahutage » qui a coûté la vie à Jallal Hami
BIZUTAGE•Le jeune élève-officier était mort noyé lors de la traversée d’un étang en pleine nuit dans une eau à 9 °CCamille Allain
L'essentiel
- Le procès de sept militaires de l’école de Saint-Cyr Coëtquidan s’ouvre à Rennes ce lundi.
- Les prévenus sont poursuivis pour homicide involontaire après la mort de Jallal Hami, un élève de première année mort en 2012.
- Agé de 24 ans, il participait à un « bahutage », un exercice organisé par les élèves de deuxième année pour « transmettre les traditions » de la prestigieuse école.
Ce lundi, le procès de sept militaires de la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan (Morbihan) s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Rennes. Jugés pour homicide involontaire, les sept hommes devront s’expliquer sur les conditions qui ont mené à la mort d’un élève officier lors d’une nuit de « bahutage » en octobre 2012 dans un étang du terrain militaire. Agé de 24 ans et élève de première année, Jallal Hami était mort noyé lors d’une épreuve de traversée d’un plan d’eau proposée par les élèves de deuxième année dans le cadre d’une « transmission des traditions ». Peu connu du grand public, ce rituel annuel est parfois décrit comme « un bizutage » même si l’armée s’en défend. Huit ans après le drame, 20 Minutes vous raconte cette nuit qui a vu un homme perdre la vie lors d’un exercice mal préparé qui a viré au drame.
Nous sommes le lundi 29 octobre 2012. Il est 23 heures 30 et la nuit est tombée depuis bien longtemps sur l’école militaire du Morbihan. La température extérieure est de 7 °C quand environ 150 hommes s’apprêtent à franchir l’étang de « Vieux Bazar Beach », sur le terrain de Coëtquidan. Le sous-bois est isolé, la nuit est sombre et humide, malgré la pleine lune. Sur les côtés du point d’eau, des projecteurs éclairent la scène, mise en musique au rythme de La Valkyrie de Wagner et d’autres musiques de film. Au milieu de l’étang dont les fonds sont tapissés de vase lourde, une corde doit délimiter le périmètre de « nage » des élèves de première année. Plusieurs brèves coupures de courant viennent parfois plonger les acteurs dans l’obscurité. Trois élèves de deuxième année sont en combinaison et dotés de bouées pour sécuriser la traversée.
Après avoir écarté les étrangers (appelés « crocodiles »), les femmes (les « sans chibre ») et les exempts (les « porcelaines »), les organisateurs de cette nuit de « transmission des traditions » briefent les participants. Ils insistent sur le côté « facultatif » de l’atelier car l’eau est froide. Un élève, décrit comme « piètre nageur » est mis de côté. Plus de 150 autres vont traverser. Coiffés d’un casque et chaussés de leurs rangers, les élèves ignorent qu’ils n’ont pas pied et que l’étang affiche une profondeur maximale de 2,70 m. Une première vague d’élèves du 3e bataillon saute à l’eau. Ils doivent franchir l’étang sur une quarantaine de mètres avec 5 kg d’équipement, avant de « prendre une position ennemie » symbolisée par des plastrons en tenue allemande. Des rafales de tirs à blanc résonnent dans la nuit.
« Il y avait beaucoup de bruit. Les cris, la musique, les armes »
La traversée de la 9e compagnie met en lumière les difficultés de la nage dans une eau très froide. La corde servant de délimitation est utilisée comme ligne de vie et tous les participants parviennent à sortir de l’eau, non sans mal. La plupart regagnent la berge comme ils peuvent, sans traverser. Dès le premier franchissement, les bouées sont lancées par les encadrants pour aider les plus en difficulté. « Il y avait beaucoup de bruit. Les cris, la musique, les armes », raconte un participant. Voyant ces difficultés, les encadrants décident de maintenir l’épreuve mais optent pour des départs par colonnes afin que les élèves gardent des distances dans l’eau. Aucun membre de la hiérarchie n’assiste à l’exercice.
Jallal Hami se présente au bord de l’étang à 23 heures 50. Purgeant une peine d’arrêt consécutive à une sanction disciplinaire, il a raté le départ de son groupe et est intégré à la 10e compagnie. Personne ne le connaît. Et personne n’est en mesure de dire qu’il n’est pas un très bon nageur. L’élève de 24 ans est « enthousiaste, souriant et très motivé par cet exercice ». Quelques minutes après, il se jette à l’eau, en même temps que tous ses camarades. Il se produit un engorgement au premier tiers du parcours, où les élèves n’ont plus pied. « Certains ont paniqué, se sont accrochés à une branche, à la corde, soit à des camarades. Plusieurs ont bu la tasse, et pas qu’une fois ». Les élèves chargés de sécuriser l’exercice interviennent pour secourir les élèves avec des bouées. L’après-midi, le magasinier leur avait proposé des gilets de sauvetage mais les organisateurs avaient refusé.
« « J’ai cru que j’allais mourir. Il y avait trop de monde, on pouvait lire la panique sur les visages » »
Dans l’eau, c’est la panique. Les rescapés témoignent. « Je pense que nous devions être 40. Nous étions assez serrés et on se donnait des coups de coude et de rangers sans le faire exprès ». « On n’entendait rien, on ne pouvait distinguer les ordres », « J’ai senti qu’on me tirait l’un des pieds. J’ai bu la tasse à deux reprises et j’ai paniqué. J’ai cru que j’allais y passer », « J’avais du mal à respirer, j’ai senti un appui sur mon épaule, j’ai commencé à paniquer », « J’ai attrapé le câble mais on était plusieurs dessus et il était sous l’eau. Il ne servait plus à rien. J’ai commencé à couler et j’ai touché le fond. Je me suis appuyé pour remonter. J’ai coulé une deuxième fois sans savoir pourquoi. J’ai cru que j’allais mourir. Il y avait trop de monde, on pouvait lire la panique sur les visages ».
Voyant la panique, les élèves organisateurs interviennent et lancent leurs bouées. Plusieurs élèves s’y agrippent et sont extraits de l’eau. Ils sont frigorifiés et apeurés. « J’ai le souffle coupé. Les muscles sont comprimés. Mon corps a tendance à rester à la verticale à cause des rangers. C’est impossible de nager. » L’activité se poursuit et « l’assaut » qui doit se dérouler de l’autre côté de l’étang est maintenu. Lors d’un comptage réalisé après l’épreuve, deux élèves manquent à l’appel. L’un est retrouvé auprès du feu, à se réchauffer. Des organisateurs cherchent Jallal Hami et se remettent à l’eau. Mais ils ne voient rien. « On était tellement sûrs de nos mesures de sécurité et de surveillance qu’il nous paraissait impossible que Jallal a pu se noyer », expliquera l’un des prévenus. Une heure dix minutes après la fin de la traversée, le commandement est alerté de la disparition de Jallal Hami. Les gendarmes et les pompiers sont alertés. Le corps sans vie du jeune homme est repéré vers 2 heures 35 grâce à un sondage de l’étang fait par les secours.
Un élève brillant
Diplôme de Sciences po, Jallal Hami rêvait d’intégrer Saint-Cyr. La vie de cet élève brillant et décrit comme très sportif s’est arrêtée au fond d’un étang de son école, sans qu’aucun des nombreux témoins s’en aperçoive. « Jallal a été abandonné dans une eau glacée », estime l’avocat Me Jean-Guillaume Le Mintier, qui défendra la famille aux côtés de Me Camille Radot. A compter de lundi, sept prévenus seront amenés à s’expliquer sur cette dramatique nuit de « transmission des traditions ». D’anciens élèves censés organiser cette activité mais aussi des membres de la hiérarchie, qui contestent avoir une responsabilité. Le procès doit durer cinq jours.