Coronavirus : Une étude danoise démontrerait que le port du masque est inutile ? Prudence !
FAKE OFF•Les auteurs de l’étude Danmask-19, publiée dans la revue « Annals of Internal Medicine » la semaine dernière, soulignent que ses résultats ne sont pas « significatifs ». « 20 Minutes » fait le point.Tom Hollmann
L'essentiel
- Danmask-19, une étude danoise publiée dans la revue Annals of Internal Medicine mercredi 18 novembre, est l’objet de nombreuses publications virales sur les réseaux sociaux.
- Les chercheurs ont tenté de comprendre si le port du masque chirurgical en dehors du foyer réduisait le risque d’infection au Covid-19. Selon leurs résultats, 1,8 % des porteurs de masque ont contracté le coronavirus, contre 2,1 % de ceux qui ne le portaient pas. La preuve de son inutilité, pour de nombreux internautes. Pour les auteurs de cette étude, ces résultats, très partiels, sont « inconcluants ».
- 20 Minutes fait le point avec le professeur Didier Lepelletier, coprésident du groupe de travail permanent sur le Covid-19 au sein du Haut Conseil de la santé publique. Selon lui, l’étude « comporte trop de biais pour apporter des résultats significatifs »
«Stop à l’obscurantisme, vive la science ! » Dans une publication Facebook, Florian Philippot, chef de file des Patriotes, a vanté les mérites d’une étude danoise qui démontrerait « l’inutilité totale du masque à l’extérieur contre le Covid-19 ». « Toutes les vérités sont en train d’éclater », s’est exclamé l’ancien bras droit de Marine Le Pen à propos de cette étude, qui remettrait en cause la doctrine française sur le port du masque contre le coronavirus.
Des publications similaires se sont répandues comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, s’appuyant sur la publication dans la revue Annals of Internal Medicine, mercredi, des résultats d’un projet de recherche baptisé « Danmask-19 ». Cet internaute, par exemple, a tweeté à propos de l’étude : « Elle porte sur 6.000 personnes, 3.000 avec masque, 3.000 sans. Aucune différence sur le Covid mais augmentation des infections dans le groupe…. masques ! »
Les auteurs de l’étude reconnaissent toutefois que leurs résultats ne sont pas « statistiquement significatifs ». 20 Minutes fait le point.
FAKE OFF
Danmask-19 est une étude conduite par 21 chercheurs danois entre avril et juin 2020. Elle vise à « estimer si le port du masque chirurgical en dehors du foyer réduit le risque d’infection au Sars-Cov-2 (Covid-19) dans un contexte où le port du masque est peu commun, et non recommandé par les mesures de santé publique ». En effet, le port du masque n’était pas recommandé au Danemark sur la période couverte par l’étude. Les autorités sanitaires préconisaient en revanche la distanciation sociale et la mise en quarantaine des cas suspects, et les bars et restaurants ont fermé jusqu’au 18 mai.
Pour l’étude Danmask, 6.000 personnes ont été sélectionnées, puis testées au Covid-19. Les personnes négatives ont été séparées en deux groupes, l’un portant le masque et l’autre ne le portant pas. L’ensemble des participants ont ensuite été exhortés à passer au moins trois heures par jour à l’extérieur de leur foyer pendant un mois, avant de subir une nouvelle batterie de tests (sérologiques et PCR). Un premier groupe a réalisé l’expérience de la mi-avril à la mi-mai, l’autre durant tout le mois de mai.
Au final, l’étude arrive à la conclusion que 1,8 % des porteurs de masque ont contracté le Covid-19, contre 2,1 % de ceux qui ne le portaient pas. Premier point : contrairement à ce qu’affirment certains internautes, il n’y a pas plus d’infection dans le groupe des personnes masquées.
Au vu de ces résultats, vous pourriez penser, comme Florian Philippot, que le port du masque en dehors du domicile ne sert à rien. Or, l’un des auteurs de l’étude, Kasper Iversen, de l’université de Copenhague, a ainsi lui-même déclaré que les recommandations actuelles sur le port du masque « ne sont pas sérieusement remises en question par l’étude ».
Une étude qui comporte trop de biais
Pour mieux comprendre Danmask-19, 20 Minutes a fait appel à Didier Lepelletier, coprésident du groupe de travail permanent sur le Covid-19 du Haut Conseil de la santé publique et professeur d’hygiène hospitalière au CHU de Nantes. Il est également « reviewer » pour plus d’une trentaine de revues scientifiques. « C’est une étude clinique intéressante, publiée dans une revue reconnue, mais qui comporte trop de biais pour apporter des résultats significatifs », statue le professeur.
Premièrement, et comme l’indiquent ses auteurs, l’étude n’est pas « randomisée », ni en simple, ni en double aveugle. Ce qui signifie que chacune des parties impliquées dans l’étude clinique connaît le résultat du tirage au sort effectué pour séparer les groupes d’étude.
En simple aveugle, c’est le patient qui ignore ce qu’on lui a assigné (un médicament ou un placebo, dans le cadre d’une étude pharmaceutique, par exemple). En double aveugle, c’est aussi le cas des chercheurs. L’intérêt de ce type de protocole est de réduire l’influence que pourrait avoir la connaissance de l’information chez la personne analysée, comme chez le chercheur. « Ici, il aurait par exemple fallu distribuer à la fois des masques efficaces et des masques qui le soient moins », note le professeur.
Un contexte particulier
Ensuite, ce sont les conditions générales de l’étude qui rendent les résultats difficiles à interpréter, pour le professeur Didier Lepelletier. Le groupe d’étude testé de la mi-avril à la mi-mai a par exemple réalisé l’expérience en plein confinement et dans un pays au taux de transmission alors extrêmement faible, ce qui limite fortement les risques de contamination. « Les déplacements en dehors du domicile n’étaient d’ailleurs pas contrôlés, et rien n’indique que les personnes contaminées au Covid-19 n’ont pas pu l’être une fois chez eux, sans masques », ajoute-t-il.
Les participants n’ont pas non plus été formés au port du masque. S’ils ont tout de même reçus une notice d’utilisation, les auteurs indiquent ainsi que 46 % des participants ont « suivi les recommandations » sur le port du masque, que 47 % les ont « globalement respectés », et que 7 % ne les ont pas suivi.
Un intervalle statistique beaucoup trop large
Enfin, le biais le plus important est sans doute statistique. Dans les résultats mis en avant sur les réseaux sociaux, les détracteurs du masque se concentrent sur l’augmentation de 23 % du risque d’infection pour le groupe des personnes masquées. Mais la phrase publiée dans la revue Annals of Internal Medicine est à prendre dans son ensemble : « Bien que les résultats ne soient pas statistiquement significatifs, l’intervalle de confiance (IC) de 95 % est compatible avec une réduction de 46 % à une augmentation de 23 % du risque d’infection », indiquent les coauteurs.
« C’est un intervalle bien trop large !, explique Didier Lepelletier. Je vous épargne le cours de biostatistique, mais ni l’intervalle de confiance (IC), ni le rapport des chances (odd ratio, OC) ne permettent d’arriver à des résultats concluants. Dire que, dans le meilleur des cas, le masque réduit le risque d’infection de 46 % et que, dans le pire des cas, augmente celui-ci de 23 % n’est pas suffisant pour tirer des conclusions de cette étude, et les auteurs le reconnaissent volontiers. »
« Pas de données sur l’efficacité du port du masque généralisé »
Les auteurs de l’étude alertent en effet sur les interprétations rapides qui pourraient être faites de leur travail : « Ces résultats ne fournissent pas de données sur l’efficacité du port de masque généralisé dans [une communauté] pour réduire les infections par le Sars-Cov-2 […]. Les résultats suggèrent également que les personnes ne devraient pas abandonner les autres mesures de sécurité contre le Covid-19, indépendamment de l’utilisation de masques. »
Un avis partagé par Didier Lepelletier qui, conformément au rapport du Haut Conseil de la santé publique, indique « qu’en population générale, le port du masque, y compris par les personnes asymptomatiques, réduit fortement la transmission du Sars-Cov-2, en association avec les autres mesures barrières. »