Première Guerre mondiale : La publication des carnets d’un civil offre un regard inédit sur l’occupation dans l’Aisne
MEMOIRE•Un historien de Montpellier publie les chroniques quotidiennes de son aïeul, brasseur dans un village de l’Aisne occupé par les Allemands pendant la Grande GuerreGilles Durand
L'essentiel
- Environ 900 pages de manuscrits ont été retrouvées il y a vingt ans au fond d’une malle oubliée dans une maison de famille.
- Le récit des carnets de guerre de cet aïeul offre une vision inédite de la guerre à travers les yeux d’un brasseur et ancien officier dans un village occupé de l’Aisne.
Un capitaine de police qui terrorise la population, plus de 500 bouteilles de vin cachées dans l’église, des prisonniers russes exécutés à la baïonnette… Plus d’un siècle après la fin de la Première Guerre mondiale, un historien de Montpellier publie la chronique quotidienne de son arrière-arrière grand père, Albert Denisse, dit Pabert, brasseur dans un village occupé de l’Aisne entre 1914 et 1918*. Des tranches de vie racontées au jour le jour, qui dépeignent une cruelle réalité, et se lisent comme un roman.
Ce récit aurait pu sombrer définitivement dans l’oubli si Franck Le Cars, enseignant en histoire et descendant du fameux Pabert, n’avait retrouvé, il y a vingt ans, plusieurs carnets de guerre manuscrits au fond d’une malle délaissée dans une vieille maison de famille des Pyrénées. Il les a publiés à l’occasion de la commémoration du 11 novembre.
« C’est un huis clos brutal, sans concession »
Sur environ 900 pages, l’ancien officier et notable, Albert Denisse, âgé de 46 ans, décrit le quotidien de la commune d’Etreux, devenue centre de commandement allemand. On y découvre cinquante-deux mois d’Occupation pendant lesquels chaque jour apporte son lot d’événements : bombardements, morts, dénonciations, arrestations, viols, fraternités improbables…
« C’est un regard inédit sur la guerre, un huis clos brutal, sans concession, qui regorge d’anecdotes. La collaboration passive y est dépeinte dans tous ses détails. Pabert y livre aussi ses états d’âme avec le recul de l’aventurier qu’il était. Il avait appris la brasserie en Scandinavie et participé à la révolution haïtienne, par exemple », explique Franck Le Cars.
Des passages codés
Depuis vingt ans, ce dernier n’a cessé de faire des recherches pour corroborer les dires de son aïeul. Et il a dû attendre les deux mois de confinement du printemps pour pouvoir boucler l’édition. « Ironie du destin, le récit de Pabert se termine lorsqu’il est atteint de la grippe espagnole, la "maladie à la mode" comme il l’écrit », glisse l’historien qui a dû faire face à d’autres écueils.
« Il a fallu lire le récit à la loupe car écrit très petit, souligne-t-il. En plus, il comportait des passages codés en sténo, qu’il a fallu traduire. » Mais le jeu en valait la chandelle, selon Franck Le Cars. « Cet homme lettré, issu d’une vieille famille de négociants nordistes du Cateau-Cambrésis et qui parlait allemand, est un personnage ambigu, peut-être espion. Les rapports secrets de l’armée allemande montrent, en tout cas, qu’il suscitait la méfiance. »
* « Pabert : Journal d’un officier brasseur dans la France occupée de la Grande Guerre ». Autoédition. Disponible sur le site du Furet du Nord.