Confinement à Toulouse : Le gros coup de blues des livreurs ubérisés
VAGUE A L'AME•Le reconfinement est loin d’être une aubaine pour les livreurs de repas. Encore plus précarisés par la crise du Covid-19, ils se rebellentHélène Ménal
L'essentiel
- Vendredi, une manifestation a réuni pour la première fois plus d’une centaine de livreurs « ubérisés ».
- Contrairement aux apparences, le confinement ne provoque pas de boom de leur activité.
- Encore plus précarisés par la crise sanitaire, ils appellent les plateformes à revoir les règles du jeu.
A croiser tous ces livreurs de repas, à trottinette ou à vélo, dans les rues un peu plus vides de Toulouse, on se dit que dans certains secteurs d’activité le confinement peut se transformer en Eldorado. C’est aller un peu vite en besogne. « Lundi soir, on s’est retrouvés à une quinzaine de collègues vers 20h30 sur la place de la Trinité à regarder nos téléphones en attendant une commande », raconte Frédéric*. Le désœuvrement total à l’heure théorique du rush. « Bizarrement, on sonne pas, confirme Yohan Tallandier dans son jargon. C’est pas la folie du tout, on s’est même demandé à un moment si les Toulousains n’avaient pas décidé de boycotter les plateformes ».
Frédéric, qui livre à temps plein pour les deux plus célèbres applis, en jonglant en mode expert avec ses notifications grâce à sa science du temps d’attente à l’entrée des restaurants, avance une explication : « Depuis mars Deliveroo fait comme Uber Eats et a supprimé les créneaux de connexion. Avec la connexion libre, je pense qu’on est trop nombreux au même moment, 200, 300, 400, qui sait ». Trop pour un gâteau qui rapetisse
Fonte du chiffre d’affaires
Le Toulousain de 28 ans a connu le temps « où ça marchait bien ». Mais là, il a fait ses calculs et parle en chiffre d’affaires, vu qu’il est autoentrepreneur et paie 20 % d’Urssaf (bientôt 22 %) : 2.650 euros en octobre 2019 mais 1.175 seulement le mois dernier, dans un monde post-Covid-19, où il a moins travaillé. « C’est presque insultant, pour une vie éreintante où l’on prend physiquement tous les risques et où j’en vois certains développer une dépendance psychologique à la plateforme », déplore le professionnel. « L’autre jour, j’ai travaillé 6 heures pour gagner 12,50 euros », témoigne Yohan. Celui qui est aussi le secrétaire général du Syndicat des livreurs ubérisés Toulousains (le LUT CGT**) estime que le chiffre d’affaires d’un livreur est de 8 à 9 euros de l’heure et rappelle – c’est bon à savoir – que les pourboires versés en ligne sont eux aussi soumis à cotisations sociales.
aLe syndicaliste tient pour preuve du vague à l’âme grandissant de ses collègues, le succès inespéré de la manifestation, et de la grève de la connexion, qu’il a organisées vendredi soir, premier jour du reconfinement au centre-ville de Toulouse. « Je me suis dit, teins c’est bizarre tous ces gens qui commandent chez Burger King », plaisante-t-il. En fait, ils étaient plus d’une centaine de livreurs pour défiler avec lui.
Aspiration à la stabilité
Du blocage des comptes sans explication, à l’augmentation du prix des commandes, en passant par « le droit aux congés payés », la liste des revendications du LUT est longue. Contacté par 20 Minutes, Uber Eats se dit prêt à la négociation sociale. « Nous échangeons très régulièrement avec les livreurs qui utilisent l’application à Toulouse pour trouver tous ensemble les meilleures réponses aux enjeux soulevés. Nous sommes ouverts au dialogue et sommes engagés à continuer à réfléchir aux solutions les plus efficaces pour soutenir l’activité des livreurs », indique un porte-parole.
Frédéric n’attendra pas l’issue des échanges. « La tyrannie des algorithmes », il en a soupé. Il veut rester livreur à vélo. Il veut « prospecter des boîtes » pour qui il livrera de tout. « Des clients assurés, comme ça je saurai que j’ai du travail pour le lendemain ».
* Le prénom a été changé