Attentat à Conflans : Quel sera finalement l’hommage rendu à Samuel Paty dans les établissements scolaires ?
RECUEILLEMENT•Ce lundi est un jour de forte émotion dans les établissements, où un hommage sera rendu à Samuel Paty, l’enseignant tué par un terroriste en octobreDelphine Bancaud
L'essentiel
- La rentrée des classes, qui devait être décalée lundi à 10h pour laisser le temps aux équipes pédagogiques de préparer un hommage à Samuel Paty, sera finalement maintenue à l’horaire habituel, a annoncé le ministre Jean-Michel Blanquer vendredi soir aux personnels.
- Si une minute de silence sera respectée ce lundi en son honneur, les enseignants auront jusqu’à la fin du mois de novembre pour plancher sur une séquence pédagogique autour de la liberté d’expression.
Comment accueillir les élèves après les vacances de la Toussaint et leur parler de l’attentat de Conflans ? Ce lundi sera un moment d’émotion et de réflexion dans les établissements scolaires pour rendre hommage au professeur Samuel Paty, décapité à Conflans-Sainte-Honorine en octobre par un terroriste.
Initialement, le ministère de l’Education avait prévu de décaler la rentrée à 10h, pour permettre aux enseignants de se préparer. Mais compte tenu des circonstances sécuritaires et sanitaires, il a été décidé de changer de programme. « Tous les élèves reprendront les cours comme à l’habitude », écrit Jean-Michel Blanquer dans un courriel transmis à l’AFP. Une minute de silence aura bien lieu à 11h en hommage à Samuel Paty, après la lecture de la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs, « de préférence dans les salles de classe, et si les conditions sanitaires le permettent, dans la cour de l’établissement ». « Ce temps pourra être précédé d’un temps pédagogique en classe », adapté à l’âge des élèves, autour des valeurs de la République et de son école, précise aussi le ministère. Mais les enseignants pourront décider de prendre leur temps pour préparer une séquence pédagogique, qui devra avoir lieu avant la fin du mois de novembre.
« Je compte afficher la photo de Samuel Paty dans ma salle »
Ce changement de calendrier a ulcéré certains enseignants qui ont répondu à notre appel à témoins : « Je me sens révoltée, angoissée, et je n’ai plus aucune confiance en cette institution qui ne sait même plus honorer la mémoire de ceux qui lui permettent encore de tenir debout lorsqu’elle chancelle chaque jour un peu plus », déclare ainsi Agathe. L' APHG (Association des professeurs d’Histoire et de Géographie) a aussi vivement réagi ce vendredi dans un communiqué : « Nous refuser un temps de recueillement et de concertation, tout en respectant les mesures de sécurité indispensables, avant de prendre nos classes est incompréhensible et inacceptable. Mémoire et recueillement se préparent, de manière adaptée à chaque classe. Une minute de silence ne peut être ainsi décontextualisée ».
D’autres enseignants ont déjà leur idée pour rendre hommage au professeur assassiné, à l’instar de Sara : « Je compte afficher la photo de Samuel Paty (celle où on le voit dans sa classe au travail) dans ma salle au-dessus de mon bureau. Je n’en parlerai pas, uniquement si les élèves souhaitent en discuter. J’estime que tout ceci se passe de commentaire ». Jean, prof d’histoire géo et d’EMC en lycée, a réfléchi à la manière dont il aborderait le sujet avec ses élèves : « L’essentiel sera de discuter et de faire comprendre les enjeux autour de cette liberté d’expression et les périls liés à cet extrémisme », explique-t-il.
« Je leur passerai la chanson de U2 »
« Mes collègues et moi-même avons préparé une séance sur la laïcité et la liberté d’expression, qui s’appuie sur des documents variés pouvant être exploités avec des élèves de collège d’âges divers », explique aussi Agathe. Agnès, enseignante d’anglais en collège dans l’Essonne, a également prévu sa séquence pédagogique : « Une heure sera consacrée au rappel de la laïcité et de la liberté d’expression par chaque professeur principal avec sa classe. Pour ma part, je leur passerai la chanson de U2 [One, la chanson du groupe sur laquelle le cercueil de Samuel Paty a fait son entrée dans la cour de la Sorbonne lors de l’hommage national] et des textes en anglais sur cet événement, ainsi que ses répercussions dans le monde anglophone ». Teddy a déjà sa séquence pédagogique pour ses 4ème bien en tête : « Elle sera centrée sur la liberté d’expression et de la presse (étude à l’échelle mondiale de ces deux libertés et de leur plus ou moins grande acquisition ou mise en danger, réflexion sur les attentats de Charlie Hebdo, analyse de caricatures et débat (la liberté d’expression a-t’elle des limites ?). Un travail final engagera les élèves ; ils réaliseront une affiche retraçant le combat de personnalités importantes ayant combattu pour la liberté d’expression ou défendront la liberté d’expression ».
Mais certains, comme Julien, sont en plein doute : « Je me dis qu’il faut montrer ces caricatures parce que c’est ce qui déclenche tout. Si je fais réellement mon métier, qui est celui de former de futurs citoyens, je dois les montrer, les étudier, les analyser, mais mon ministère sous-entend que ce n’est pas un document approprié. Je suis professeur d’Histoire, je sais que c’est reculer pour mieux sauter, car dans dix ans, nous étudierons les évènements de 2020 qui ont ouvert une nouvelle page d’Histoire de France et il faudra bien analyser ces documents qui ont eu un rôle central. L’analyse critique des documents c’est le cœur de mon métier. Alors je fais quoi, moi, pour rendre hommage à Samuel Paty ? », interroge-t-il. Comme beaucoup de ses consœurs et confrères, Julien attend d’être guidé par le ministère de l’Education nationale. « Il serait plus sûr pour tous de n’avoir qu’un discours, qu’un type d’intervention décidé en haut lieu. Ainsi, nous serions protégés par le nombre et notre message unique gagnerait en force et en clarté. Je verrais bien cela sous forme de séquence vidéo préparée par le ministère, qui serve ensuite d’appui pour faire germer le débat parmi les élèves », suggère David. Le ministère de l’Education rappelle que des ressources pédagogiques sont déjà disponibles pour les professeurs qui le souhaitent. Mais tous les enseignants ne semblent pas être au courant…