INTERVIEW« Il ne faut pas être juste dans la contestation », lâche Cédric Herrou

« Il ne faut pas être juste dans la contestation, être des rebelles à deux balles, même si j’en suis un », lâche Cédric Herrou

INTERVIEWL’agriculteur de la vallée de la Roya Cédric Herrou raconte son parcours au plus près des migrants dans le livre « Change ton monde », qui paraît ce mercredi
Fabien Binacchi

Propos recueillis par Fabien Binacchi

L'essentiel

  • Devenu un symbole de l’aide aux migrants, l’agriculteur azuréen Cédric Herrou sort un livre ce mercredi.
  • Avec Change ton monde, il espère encourager « les gens à essayer à [leur] niveau de changer les choses ».

L’agriculteur de la vallée de la Roya, qui a défrayé la chronique pour son combat aux côtés des migrants (et ses démêlés avec la justice jusqu’à la consécration du « principe de fraternité »), se raconte dans un livre. A l’initiative de la première communauté Emmaüs agricole créée en France, Cédric Herrou publie Change ton monde ce mercredi. Un témoignage qui encouragera, espère-t-il, « les gens à se sentir importants ».

Avant de parler de votre livre, pouvez-vous nous donner des nouvelles de la Roya ?

Des maisons ont été emportées par ces inondations. Il y a des blessés, des disparus. C’est une catastrophe. L’infrastructure, les routes ont été très touchées. Mais la solidarité a bien marché. Peut-être que ce drame remettra certaines pendules à l’heure. On voit par exemple que c’est la ligne de chemins de fer Nice-Tende, régulièrement menacée parce que pas rentable nous dit-on, qui nous sauve aujourd’hui. Espérons que ça fasse avancer certaines choses.

L'agriculteur Cédric Herrou, figure de l'aide aux migrants dans cette vallée montagneuse de la frontière franco-italienne, juste après les inondations à Breil-sur-Roya
L'agriculteur Cédric Herrou, figure de l'aide aux migrants dans cette vallée montagneuse de la frontière franco-italienne, juste après les inondations à Breil-sur-Roya - F. Binacchi / ANP / 20 Minutes

Comment est née l’idée de Change ton monde ?

Ça faisait longtemps que l’éditeur [Les liens qui libèrent] me courrait après. Et moi, j’aime bien écrire. L’an dernier, une double hernie discale m’a maintenu alité, alors j’ai eu le temps de le faire. Je me suis mis à raconter chronologiquement. Ça m’a permis de comprendre peut-être certains de mes actes.

Vous racontez que c’est votre parcours qui a fait que ces gens, les migrants, vous ne « les avez pas laissés sur le bord de la route »…

Ça n’a jamais été un coup de tête. J’avais plein de questionnements. Ça me gênait d’être dans l’illégalité. Mais ça me gênait aussi de les laisser là, à leur sort. Puis je me dis : « quand même, ce n’est pas normal ». J’ai eu envie d’agir. On a souvent dit que je faisais de la désobéissance civique. C’est tout le contraire. C’est de l’obéissance. C’est l’obéissance à une morale, à des croyances. Moi j’ai fait ça pour des gens. Pas pour contester quelque chose. Il ne faut pas être juste dans la contestation, être des rebelles à deux balles. Même si j’en suis un aussi [Rires].

La couverture du livre de Cédric Herrou
La couverture du livre de Cédric Herrou - LLL

Votre livre ressemble pourtant plutôt à un témoignage qu’à un véritable plaidoyer ?

Ça a été compliqué avec l’éditeur, qui a une ligne éditoriale vachement militante. Ils voulaient un superhéros, une vraie tribune politique. Je leur ai tout de suite dit que ce n’était pas le propos. Mais moi, ce que je fais, c’est de la politique. Ce bouquin, ça en est. Nos politiques qui prétendent tout connaître ne montrent presque jamais leur humanité. C’est pourtant primordial. Avec ce livre, j’espère que les gens se sentiront importants. On a souvent l’impression qu’on n’est rien. On dit : « mais qu’est ce que tu veux qu’on y fasse ». Mais, avant de croire en des combats, l’important c’est de croire en soi. Pour essayer à notre niveau de changer les choses.

Vous vous êtes souvent opposés aux responsables politiques et autorités locaux, y compris devant la justice, ce que vous rappelez dans le livre. Vous n’avez pas peur de remettre de l’huile sur le feu ?

J’ai fait relire le texte par mon avocate, par précaution. Et nous n’avons rien enlevé. De toute façon, je ne voulais pas me censurer. Avec Eric Ciotti [député LR des Alpes-Maritimes avec qui il a été plusieurs fois en procès], il y avait clairement une posture médiatique. On se servait de lui pour lancer des clashs, mais il n’y a pas de haine de lui. D’autant plus que je suis convaincu qu’il se fabrique un personnage. C’est un commercial pour son parti. Il ne peut pas croire à tout ce qu’il dit. J’en veux un peu plus au préfet de l’époque.

Seriez-vous partant pour vous engager en politique ?

Comme je vous l’expliquais, j’ai l’impression d’en faire déjà, à mon niveau. J’ai participé aux universités d’été d’EELV pour dire ce que j’avais à dire. Quand on me demande mon avis, je peux le donner mais ça n’ira pas au-delà. Quand je serai vieux et con comme les autres, je changerais peut-être d’avis [rires]. Maintenant, j’ai envie de rester dans la Roya et de faire des choses pour la Roya, surtout avec ce qui vient de se passer.

Quelle est la situation aujourd’hui à la frontière italienne ?

Il n’y a plus vraiment de recensement des personnes en migration à Vintimille. Juste avant les inondations, nous avions servi 200 repas lors d’une maraude. Après, une autre distribution n’a identifié que 60 personnes. On est inquiets. On espère qu’ils ont réussi à passer. Mais on craint qu’il y ait eu des morts aussi parmi eux. Il n’en arrive plus chez moi, dans la vallée de la Roya, comme avant. L’Italie a fermé ses ports et ce ne sont de toute façon plus les mêmes nationalités qui essaient d’arriver.