Coronavirus : Les grandes villes peuvent-elles s’en sortir ?
EPIDEMIE•Densité de population élevée, logement moins espacé, contact plus fréquents… Les grandes villes sont-elles condamnées face au coronavirus ?
Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- Marseille, Paris, Lyon pour la France, Madrid et tant d’autres mégalopoles dans le monde… Ce nouveau pic de coronavirus se concentre majoritairement sur les grandes villes.
- Les raisons ne manquent pas : densité de population, contact fréquent, vie culturelle et sociale plus diversifiée, les grandes villes apparaissent de plus en plus comme de véritables nids à transmission de Covid-19.
- Sont-elles condamnées à subir des pics de coronavirus fréquemment ou existent-ils des solutions pour résoudre ce problème ?
A chaque bilan hebdomadaire d'Olivier Véran, une nouvelle mégalopole française passe en zone d’alerte maximale. D’abord Marseille, puis Paris la semaine dernière, et ce jeudi, Lyon. Hors de ce podium des plus grandes villes du pays, c’est d’autres gros centres urbains qui connaissent la plus forte circulation du coronavirus : Lille, Grenoble, Toulouse… A l’étranger le constat s’applique également avec les exemples de Madrid ou New York, et si on remonte à la première vague, Milan, Wuhan, etc.
Pour Antoine Flahault, épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève, la thèse semble avérée : les milieux urbains très denses favorisent la transmission des virus respiratoires, tout comme il existe à l’inverse des maladies plus « rurales », comme le paludisme (plus propice à se développer dans les champs et les zones à faible densité humaine).
Facteurs de propagation multiples
« Au début de la première vague, on pensait que le virus se transmettrait plus dans les zones avec de la pauvreté, aujourd’hui on fait plus la corrélation avec des zones denses », appuie l’urgentiste Mathias Wargon. Le virus circulant par transmission d’humains à humains, « il est normal qu’il se propage plus à Paris que dans une campagne où chaque habitant vit à plus de 500 m de tout voisin ».
D’ailleurs, ce constat n’est pas nouveau. Dès le Moyen Age, des populations entières fuyaient les grandes villes lors des différentes épidémies de peste, rappelle l’urgentiste. Pour Antoine Flahault, s’ajoute en plus de la densité de la population une grande vie culturelle et sociale, une plus petite proportion de transport individuel isolé comme la voiture ainsi que dans le cadre de la France, la présence de la majeure partie des universités et des étudiants.
Des défauts certes mais aussi des atouts
Face à autant de facteurs de propagation se pose la question : les grandes villes sont-elles condamnées à rester des nids à transmission de coronavirus et connaître une troisième, quatrième, cinquième vagues au fil des saisons ? Puisque Paris, Madrid ou Marseille resteront toujours très denses, sont-elles confrontées à un problème insoluble ? Reprenant son exemple de la peste, Mathias Wargon rassure : « Justement, nous ne sommes plus au Moyen-Age ! Aujourd’hui, on a bien plus de marge de manœuvre car on sait beaucoup mieux comment les épidémies se propagent, on peut donc mieux ajuster certains leviers ».
Les exemples récents de fermeture des bars et de restaurants à Marseille, qui commencerait selon Olivier Véran à montrer leurs effets, traduisent bien cette réalité. D’autant plus que pour Antoine Flahault, les grandes villes, si elles présentent beaucoup de facteurs de propagation du coronavirus, ont aussi des atouts à faire valoir.
D’abord, l’offre de soins notamment dans les hôpitaux, bien plus massive que dans les zones rurales, permet « non seulement de mieux gérer le flux de malades, mais aussi de mieux faire de la surveillance épidémiologique et donc de savoir quand renforcer les mesures barrières ».
Du télétravail et des comportements plus responsables
Ensuite, une population en moyenne mieux éduquée et informée, chez qui les messages d’informations sanitaires seraient mieux suivis et passeraient mieux. Enfin, une proportion très importante de métier dans le secteur tertiaire, soit la possibilité d’un télétravail bien plus massif que dans les zones rurales. L’épidémiologiste prend l’exemple suédois, « l’un des pays qui résistent le mieux au début hivernal ». Si la nation du nord est loin d’être à la pointe du message préventif, que ce soit sur les masques ou le confinement, elle se montre très en avance sur le télétravail, qui fait preuve pour Antoine Flahault de toute son efficacité.
Et coïncidence ou non, des villes avec un retour massif en présentiel – selon une étude par Morgan Stanley datant du 30 septembre, 86 % des employés en Ile-de-France et 68 % à Madrid – connaissent une flambée de l’incidence du virus. « On pourrait résumer en disant que les grandes villes ont des atouts et des défauts pour la propagation du coronavirus, mais que certaines n’emploient étrangement pas ce qui pourrait être leur point fort », conclut Antoine Flahault.
Pour Mathias Wargon, un dernier point ne doit pas être occulté, celui de la responsabilité individuelle. Prenant l’exemple de la capitale, il rajoute que la population la plus touchée – et de très loin – reste les 20-40 ans. « C’est donc aussi une question de comportement, au-delà de la densité des villes », commente-t-il. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard pour lui si les mesures concernent les bars, les salles de sport et les restaurants, « des endroits majoritairement fréquentés par cette population ». S’il ne propose pas de solutions miracles pour sauver les grandes villes, « leur salut passera forcément par leurs habitants ».