« On n’a pas fini de vendre du Prozac à Lyon en privant les gens des bars »

Coronavirus à Lyon : « On n’a pas fini de vendre du Prozac en privant les gens des bars »

REPORTAGEAu lendemain de l’annonce des mesures accompagnant le passage de Lyon en zone d’alerte maximale, les restaurateurs et surtout les gérants de bars sont extrêmement remontés ce vendredi
Jérémy Laugier

Jérémy Laugier

L'essentiel

  • Les restaurateurs et gérants de bars paient un lourd tribut à la crise économique accompagnant la pandémie de Covid-19.
  • Placée en zone d’alerte maximale à partir de samedi, la ville de Lyon va notamment voir tous ses bars fermer, pendant au moins 15 jours à partir de 22 heures ce vendredi.
  • 20 Minutes s’est rendu dans le quartier touristique du Vieux-Lyon, où ces nouvelles mesures sont perçues comme « injustes et injustifiées ».

«Ils sont en train de tuer les commerces. » Extrêmement remontés, plusieurs gérants de bars et restaurants du Vieux-Lyon préfèrent se contenter de ce commentaire sommaire, ce vendredi, au lendemain de l’annonce, par Olivier Véran, du passage de la ville en zone d’alerte maximale. Situé à l’angle du palais de justice des 24 colonnes, le Pub Danois vit ses dernières heures d’ouverture avec de rares clients buvant un café en terrasse, avant la fermeture imposée de tous les bars, cafés et salons de thé de la ville pendant les 15 prochains jours.

« On va se retrouver avec un quartier mort comme jamais, soupire sa gérante Marie Pakloglou. On n’a pas fini de vendre du Prozac à Lyon en privant les gens de ce lien social que représentent les bars. Là, on prenait nos marques et on sortait à peine la tête de l’eau en septembre, et bim… » Même si son établissement propose des tartes et des planches apéro, il n’a pas de cuisine lui permettant de conserver une ouverture en tant que restaurant.

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« Nous n’avons pas un Philippe Etchebest dans les bars »

A ses côtés, le responsable du bar à bières les Berthom, Samuel Gleize-Bourras, se prépare à « une très grosse dernière soirée », avant de fermer les lieux pour (au moins) deux semaines. Estimant cette décision « injuste et injustifiée », il réfléchit à un recours collectif en se rapprochant de tous les établissements de son quartier. « Notre plus gros danger, c’est de tomber dans l’oubli comme c’est déjà le cas pour les boîtes de nuit aujourd’hui. Nous n’avons pas un Philippe Etchebest dans les bars donc il nous manque de l’aura médiatique. » Il poursuit :

« Là, on déplace le problème en flinguant une économie. On nous parle sans arrêt d’aides mais on veut juste faire notre métier. Que l’Etat donne tout cet argent aux hôpitaux et qu’il nous permette de rester ouverts. » »

La fermeture des bars avancée, depuis le 28 septembre, à 22 heures au maximum, avait déjà nettement pénalisé les établissements lyonnais. « 70 % de mon chiffre d’affaires se fait de 22 heures à 4 heures du matin », assure Marie Pakloglou. Non loin de là, dans la rue Saint-Jean, Victoria Neyrand, gérante de la pizzeria La Trattoria, comprend tout juste ce vendredi midi qu’elle ne pourra pas rester ouverte le lendemain après-midi, en dehors des horaires de repas.

« Je me demande même pourquoi ils laissent les restos ouverts »

« Rien n’est logique dans tout ça, je ne vois vraiment pas pourquoi on nous refuserait de servir un chocolat chaud à un client », pointe-t-elle, tout en s’étonnant aussi de la nouvelle mesure d’un « cahier de rappel » recensant les coordonnées des clients, en raison de ce protocole sanitaire renforcé. « Je me mets à la place du client, ça me ferait ch… de donner systématiquement mon nom et mon numéro dans un restaurant. En fait, je me demande même pourquoi ils laissent les restos ouverts, car si on ne peut plus se faire une vraie soirée entre potes avec bar après voire aussi avant, quel intérêt ? Pendant que tout le monde est serré dans les métros et les galeries commerciales, on est obligé de refuser 60 couverts comme le week-end dernier à cause de la distanciation imposée entre les tables, c’est l’enfer. »

Cynthia va perdre une quarantaine de couverts dans son bouchon Au Comptoir les Gones, en raison des nouvelles règles de distanciation entre les chaises.
Cynthia va perdre une quarantaine de couverts dans son bouchon Au Comptoir les Gones, en raison des nouvelles règles de distanciation entre les chaises. - Jérémy Laugier/20 Minutes

On l’avoue, on n’a pas osé préciser à Victoria Neyrand que la règle du mètre de distanciation obligatoire s’appliquait désormais entre les chaises de deux groupes différents et non plus seulement entre les tables. Une nouveauté qui a clairement son importance aux yeux des nombreux bouchons de la (d’habitude) si touristique vieille ville. « On va passer de 82 couverts possibles à 42 avec la nouvelle configuration qu’on doit appliquer d’ici demain, constate ainsi Cynthia, responsable d’Au Comptoir les Gones. Autant ça n’était pas une trop grosse contrainte de ne pas pouvoir accueillir des groupes de plus de dix personnes, autant le passage à six va aussi nous faire du mal. Je m’attends à des services très calmes et je crois qu’on perdrait moins d’argent en fermant totalement durant ces deux semaines. »

« On prend soin de tout le monde sauf des patrons »

La responsable de Chocathé, boutique de chocolats, qui se trouve aussi être un salon de thé dans le Vieux-Lyon, se dit simplement « révoltée » par ces nouvelles mesures la concernant directement. Elle n’a pas encore décidé si elle allait/pouvait ouvrir samedi. Car de nombreux établissements ont une configuration « entre-deux », à l’image du Johnny’s Kitchen, pub irlandais mais aussi restaurant à Saint-Georges (Lyon 5e). « Certaines règles ne sont pas encore très claires mais il est évident que je ne vais pas accepter des clients commandant seulement une assiette de frites puis cinq pintes de bière, explique le responsable Adrian Walsh. Tout le monde doit avoir en tête que nous sommes désormais un restaurant traditionnel servant le midi et le soir. »

Gérant du Johnny's Kitchen, Adrian Walsh voit à partir de samedi son pub-restaurant irlandais perdre la moitié de son activité.
Gérant du Johnny's Kitchen, Adrian Walsh voit à partir de samedi son pub-restaurant irlandais perdre la moitié de son activité. - Jérémy Laugier/20 Minutes

Celui-ci regrette le comportement de certains bars du Vieux-Lyon depuis le déconfinement : « Il y a eu de partout des établissements permettant à des clients de commander à boire et de s’installer dehors, debout devant les bars. C’est sûr que cela a causé du tort à notre profession ». Dans sa nouvelle vie de restaurateur exclusif, au moins pendant 15 jours, il sait qu’il va « au mieux tourner à 40 % » de son activité. « Je trouve scandaleux de ne pas toucher un centime d’aide directe de l’Etat alors que je crée des emplois et que je fais actuellement 70 heures de service par semaine, poursuit-il. On prend soin de tout le monde sauf des patrons. Je n’ai pas le moindre salaire depuis le confinement en mars, il n’y a aucun filet de sauvetage pour nous. »

« C’est moins dangereux d’encadrer tous ces jeunes dans un bar »

Une soixantaine de Lyonnais, dos au mur comme lui depuis sept mois, se sont réunis ce vendredi après-midi, à l’appel du président d’une école de danse, pour manifester devant la préfecture du Rhône. Parmi les nombreuses professions durement touchées par les conséquences économiques de la pandémie du Covid-19, les restaurateurs et gérants de bars paient un lourd tribut, avec une grande part d’incompréhension.

A l'appel d'un président d'une école de danse lyonnaise, une manifestation s'est déroulée ce vendredi devant la préfecture du Rhône contre la fermeture de nombreux établissements, dont les bars de la ville à partir de samedi.
A l'appel d'un président d'une école de danse lyonnaise, une manifestation s'est déroulée ce vendredi devant la préfecture du Rhône contre la fermeture de nombreux établissements, dont les bars de la ville à partir de samedi. - Jérémy Laugier/20 Minutes

« En fermant depuis peu à 22 heures, on se rendait compte que la plupart des clients se demandaient pendant la soirée dans quel appartement ils allaient vivre leur after, confie Marie Pakloglou du Pub Danois. C’est quand même moins dangereux d’encadrer tous ces jeunes dans un bar que de permettre une espèce de rave party sur les quais du Rhône. »