Lyon : La « dégenrisation » des cours d’école va-t-elle faire disparaître les terrains de football ?
MIXITE•La nouvelle mairie écologiste de Lyon veut, comme à Grenoble, Rennes ou Bordeaux, repenser les cours d’école afin qu’elles soient « non genrées ». Une décision qui met en cause le modèle du terrain de foot à la récréation
Jérémy Laugier
L'essentiel
- La ville de Lyon a annoncé le mois dernier son premier budget « genré », à hauteur de 700 millions d’euros.
- Parmi les projets évoqués, la remise en question du terrain de football dans les cours d’école cristallise les interrogations du grand public.
- 20 Minutes fait le point avec la première adjointe au maire de Lyon et plusieurs associations lyonnaises sensibles à la mixité et à la rénovation d’établissements scolaires.
«Est-ce qu’à partir d’aujourd’hui, vous vous engagez à jouer au football avec les filles, en étant mélangés à la récréation ? » Dans le documentaire Les Joueuses, sorti le mois dernier au cinéma et consacré à l'OL féminin, la gardienne Sarah Bouhaddi tente à sa manière de sensibiliser les garçons d’une école primaire de Décines-Charpieu (Rhône). Au même moment, l’adjointe à l’éducation de la nouvelle mairie EELV de Lyon Stéphanie Léger annonce devant la presse son souhait de « cours d’école non genrées », en remettant notamment en cause la présence des terrains de foot : « Il s’agit de voir comment organiser l’espace pour qu’il ne soit plus occupé au centre par les garçons jouant à la balle, avec tout autour de la cour les filles qui discutent. »
Une réflexion faisant écho au « budget genré » inédit de 700 millions d’euros annoncé récemment par la ville de Lyon, afin de tendre à un équilibre hommes-femmes dans la société, à commencer par « les secteurs du sport et de l’éducation ». Les enfants vont-ils donc être privés de football à l’école, à Lyon comme à Grenoble, Rennes, Bordeaux, Montreuil ou Trappes, autant de communes sensibles à cette problématique de « dégenrisation » des établissements scolaires ?
« Privilégier des jeux coopératifs s’adressant aux filles comme aux garçons »
« La mairie de Lyon n’est pas contre le football, comme elle n’est pas contre le Tour de France, assure l’adjointe aux finances Audrey Hénocque. On souhaite simplement privilégier des jeux coopératifs s’adressant aux filles comme aux garçons, mais aussi aux petits comme aux costauds. Je ne suis pas certaine que la présence d’un terrain dans la cour soit idéale pour créer des vocations pour le football, et il peut y avoir des discriminations avec les jeux de balles. »
Sport dans la ville, qui compte désormais 46 centres dans toute la France, lutte contre ce risque depuis plus de vingt ans. Si l’association lyonnaise accueille environ 1.400 filles (de 8 à 20 ans) au sein de ses structures extérieures dans des quartiers, seulement 25 % d’entre elles participent à des créneaux avec les garçons. Un constat de mixité décevant, et ce bien plus dans le football (12 % de filles) que le basket (47 %).
« Faire évoluer les mentalités est un travail de fourmis »
« On essaie de déconstruire les stéréotypes de genres via des ateliers et il est certain que le football est l’activité la plus genrée, confie Delphine Teillard, responsable du programme L dans la ville, dédié aux féminines. Faire évoluer les mentalités est un travail de fourmis. » Outre le basket, l’association réfléchit notamment à développer d’autres sports « plus mixtes » comme le handball. Pour Delphine Teillard, « il ne fait aucun doute que les infrastructures d’école ont toujours été davantage pensées pour des garçons que pour des filles ».
Les Robins des villes cherchent à bousculer ce constat. Cette autre association lyonnaise a déjà participé depuis 2008 à la rénovation d’une vingtaine d’établissements scolaires en France, dont cette année l’école Georges-Clémenceau à Grenoble, que le maire EELV Eric Piolle souhaitait justement « non genrée ». Le tracé du terrain et le but de foot de l’ancienne cour ont ainsi laissé place à un espace plus épuré et végétalisé sans terrain de sport, tous les élèves ayant convenu lors du « diagnostic des usages » qu’il s’agissait d’une activité « dont profitaient surtout les garçons ».
« Le foot prône une virilité particulière »
Militant pour une ville imaginée par ses habitants, les Robins des villes s’apprêtent à intervenir, d’octobre à décembre, sur l’école la Sauvagère (Lyon 9e), qui sera le premier établissement scolaire repensé depuis l’arrivée de Grégory Doucet à la tête de la ville. « Le gros enjeu est de végétaliser la cour et de la rendre mixte, en mêlant les maternelles et les primaires, explique Elise Dehédin, chargée de mission dans l’association. On tient à impliquer de manière ludique les enfants dans la réflexion sur leur espace de vie, afin de leur montrer qu’ils sont déjà citoyens. »
Pour capter l’attention des élèves, les Robins des villes leur demandent notamment quelle serait la cour de leurs rêves, dans une phase utopique où il est souvent question « de piscine chauffée et de camion pizza ». Mais aussi parfois d’une pratique mixte de football, même s’il n’y a pas de terrain dans l’actuelle cour de la Sauvagère ? « Le foot n’est pas qu’une question de genre : il prône une virilité particulière qui ne correspond pas à tous les garçons, poursuit Elise Dehédin. Seulement 2 % des enfants profitent de cette activité et les autres en sont exclus. C’est pourquoi il nous est arrivé de supprimer mais aussi de déplacer un terrain, afin qu’il ne soit plus situé au centre de toutes les attentions dans la cour. Il faut bien prendre en compte que quatre blousons déposés au sol peuvent suffire à créer un terrain de foot. »
« L’école a une visée égalitaire, inclusive et bienveillante »
Dans leur défi de repenser les écoles, les Robins des villes cherchent notamment à « stimuler l’imaginaire » des élèves via des marquages au sol. Seront-ils amenés à « dégenrer » tous les équipements scolaires lyonnais ? « Non, on ne va évidemment pas faire refaire toutes les cours d’école, indique Audrey Hénocque. On souhaite par contre que les cours ayant besoin d’être rénovées soient pensées de manière concertée. Peut-être qu’on laissera certaines fois des terrains de football présents. »
L’association Egaligone, qui encourage depuis dix ans l’éducation égalitaire entre les sexes via des ateliers et des formations, voit dans cette initiative écologiste à Lyon « un premier pas hyper positif de la part des collectivités ». Ne serait-il pas préférable de sensibiliser les enfants et tout le personnel scolaire sur l’importance d'accueillir les filles dans les parties de foot ? Selon sa présidente et fondatrice lyonnaise Violaine Dutrop, « il faut que le terrain de football soit dans une logique de partage non stigmatisante, qu’on n’intègre pas les filles de manière artificielle ». Pour elle, c’est surtout la notion de « performance sportive » qui pose problème dans un cadre scolaire.
« Si on veut compter les points tout le temps, on va en club. L’école a une visée égalitaire, inclusive et bienveillante. La véritable question n’est pas celle du marquage au sol mais celle des comportements appris aux enfants. L’école manque globalement de moyens pour accompagner tout ce qu’il se passe dans une cour de récréation. On constate ainsi souvent que les garçons investissent tous les jeux d’une cour avant que les filles n’aient osé mettre un pied dehors. » »
Pour la fondatrice d’Egaligone, « cette réflexion aura vraiment du sens si elle n’est pas seulement ciblée sur les établissements de la ville ».
A ce propos, Audrey Hénocque assure que la métropole de Lyon est également sensible à la question du genre au moment de repenser l’espace public des collèges et lycées en « zones apaisées ». Sarah Bouhaddi pourra toujours venir glisser une piqûre de rappel à la récré, dans quelques années, en présentant sa 10e Ligue des champions remportée avec l'OL.