TEMOIGNAGE«On nous a traitées de menteuses»... Les victimes d'un violeur témoignent

Rennes : « On nous a traitées de menteuses »... Victimes d’un pédophile, deux sœurs témoignent

TEMOIGNAGEL’homme a été condamné l’an dernier par la cour d’assises pour de multiples faits de viols et agressions sexuelles perpétrées pendant près de trente ans
La victime d'un pédophile témoigne
Camille Allain

Camille Allain

L'essentiel

  • Condamné en décembre 2019 à vingt ans de prison, un pédophile habitant à Rennes a échappé à la justice pendant des années.
  • De multiples plaintes ont été déposées par des enfants victimes de cet homme, mais elles avaient été classées sans suite.
  • Vingt-trois ans après leur agression, deux sœurs témoignent. Elles demandent à la justice d’écouter les victimes et de les croire.

La première alerte connue date des années 1990. La fille de Jean-Luc Merienne dépose plainte contre son père pour agression sexuelle. Sans suite. En 1992, une amie fait de même. Sans suite. En 1997, Pauline, 12 ans à l’époque, et sa sœur Laura, 9 ans (les prénoms des victimes ont été modifiés), dénoncent les mêmes faits. Sans suite. Elles en subiront les conséquences toute leur enfance. « On nous a traitées de menteuses parce que la justice ne nous a pas crues », résume Pauline. Pendant vingt-sept ans, l’homme qui était leur voisin dans le quartier Alphonse-Guérin, à Rennes, a agressé et violé des enfants. Ses filles mais aussi leurs amies et des voisines.

Interpellé en 2015 après une énième plainte d’un jeune garçon, Jean-Luc Merienne a été condamné en décembre 2019 à dix-neuf ans de réclusion par la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine pour cinq viols et treize agressions sexuelles commis sur 14 enfants, dont ses deux filles. Pour les victimes, le calvaire s’est achevé le lundi 31 août quand la justice a ordonné leur indemnisation. Des dommages et intérêts qui n’effaceront pas les blessures ni l’amertume.

«On a vécu à côté de notre agresseur pendant des années»

Vingt-trois ans après avoir appelé la police depuis une cabine téléphonique pour dénoncer les agissements de son voisin sur sa sœur, Pauline a accepté de témoigner. « Ma sœur et moi, on a vécu à côté de notre agresseur pendant des années car mes parents n’avaient pas les moyens de déménager. Pendant dix ans, je les ai croisés. On nous a insultées, on a insulté notre famille. Sa femme n’arrêtait pas de nous menacer, de nous traiter de tous les noms. On a été traitées de menteuses par nos copines, par nos voisins », témoigne celle qui est aujourd’hui âgée de 35 ans.

« « A compter de cette date, je n’ai plus eu confiance en la justice » »

Dans une déclaration écrite poignante, sa sœur Laura relate les mêmes faits. « Le nom de ma famille a été traîné dans la boue car j’ai eu le courage, grâce au soutien de ma sœur et de deux amis d’enfance, de révéler les faits. A compter de cette date, je n’ai plus eu confiance en la justice. Ma famille et moi avons dû subir une pression psychologique de la part de sa propre femme pendant dix ans, jusqu’à ce qu’ils déménagent », assure Laura.

Invitée à témoigner lors du procès aux assises, la femme du maçon de 59 ans avait continué de défendre son mari. Ce dernier avait toujours nié les faits, avant de tout avouer lors du procès. « Je lui en voulais. Mais j’en voulais beaucoup à sa femme qui nous a fait tant de mal. Pendant le procès, je l’ai insultée. J’avais envie de lui cracher dessus », admet l’aînée des deux sœurs. Les propres filles de cette femme l’ont invectivée devant la cour médusée, refusant de croire à tel aveuglement de la part de leur mère.

Dans cette maison de l’horreur, dans le garage tout proche ou dans son nouveau logement à Guichen, son mari a pourtant perpétré des atrocités. Les plaintes ont continué de tomber sans que l’homme ne soit inquiété. En 2007, il a écopé de deux ans et demi de prison pour une agression sexuelle sur mineur. La justice omettra pourtant de fouiller le passé de l’agresseur et ne jugera qu’une affaire « Qu’est-ce la justice a fait pour nous protéger de cet homme ? Aurait-il fallu que je me taise pour avoir une enfance ? », questionne Laura. Libéré, son agresseur a recommencé pendant des années.

« On aurait pu épargner des victimes »

Traumatisée, Laura a dû quitter la région pour refaire sa vie. Elle revient parfois à Rennes et dans le quartier pour voir ses parents qui y habitent toujours, mais refuse d’y dormir. « Quand j’y repense, je me doutais qu’on n’allait pas nous croire. C’était monsieur tout le monde, il paraissait sympathique, souriant. Il n’avait pas la tête d’un truand. Mais c’est un monstre, un malade mental », lâche, amère, sa grande sœur. Si elle a accepté de s’exprimer, c’est pour inviter les victimes à témoigner. Mais surtout pour demander à la justice de les écouter. « Ça me fait tellement mal de voir dans la presse que ça continue. De voir qu’il y a encore des victimes et que la justice ne fait rien. Il faut réagir, ne pas être laxiste ».

L’association Prendre le droit qui l’a accompagnée porte également un regard très critique sur ce fiasco judiciaire. « Dans cette histoire, tout le monde fait clan autour de la famille de l’agresseur. On aurait pu épargner des victimes », regrette Camille, l’une des bénévoles de l’association, avant de conclure. « Les moyens mis en place pour lutter contre les violences sexuelles sont insuffisants ».