INTERVIEWPour Philippe Etchebest, « on stigmatise notre profession »

Coronavirus à Bordeaux : « On a fait ce qu'il fallait pour protéger nos clients, et là, on stigmatise notre profession », dénonce Philippe Etchebest

INTERVIEWLe médiatique chef bordelais revient sur les dernières mesures sanitaires imposées par le  gouvernement
Mickaël Bosredon

Propos recueillis par Mickaël Bosredon

L'essentiel

  • Philippe Etchebest dit comprendre les restaurateurs marseillais qui refusent de fermer leurs établissements.
  • Il ne trouve pas normal les dernières décisions gouvernementales prises, qui restreignent les ouvertures de certains restaurants.
  • Il s’inquiète par ailleurs d’une hausse possible du nombre de défaillances d’établissements dans la profession.

Depuis Bordeaux, c’est un Philippe Etchebest particulièrement remonté qu’a interrogé vendredi 20 Minutes. Le médiatique chef, qui tient la brasserie Le Quatrième Mur et le restaurant étoilé La Table d’Hôtes, revient sur les nouvelles mesures sanitaires annoncées mercredi et jeudi par le gouvernement, et fait le point sur la situation des restaurateurs.

Que pensez-vous de ces restaurateurs marseillais qui ont manifesté vendredi, et refusent de fermer leurs établissements ?

C’est inédit ! Vous avez souvent vu des restaurateurs descendre dans la rue ? Notre profession, elle ne manifeste jamais. Si on en arrive là, c’est que c’est grave. Alors, ce n’est pas mon discours de désobéir, j’ai tendance à respecter les règles, mais je comprends leur ras-le-bol, je ne peux pas les blâmer. On a tous fait ce qu’il fallait pour protéger nos clients et nous permettre de travailler, et là, on stigmatise notre profession, on nous montre du doigt. Nous ne sommes pas dangereux, et il n’est certainement pas plus dangereux de venir manger dans nos établissements que de faire des repas de famille ! Alors pourquoi sommes-nous pénalisés ? Ce n’est pas normal.

Comment est la situation des restaurateurs depuis le confinement ?

Cela a été très dur, mais la saison estivale a finalement été plutôt bonne, pas pour tout le monde, attention. Mais cela ne rattrapera jamais les deux mois et demi de fermeture. A Bordeaux, des hôtels vont fermer, et le chiffre d’affaires des restaurants en septembre est à hauteur de 50 %, ce n’est pas terrible, et cela ne va pas aller en s’arrangeant.

Vous ressentez des difficultés au sein même de votre restaurant à Bordeaux ?

J’ai fait -28 % au mois de juin. Je n’avais pas de terrasse et j’ai dû diminuer de 30 % le nombre de mes tables à l’intérieur, donc c’est mathématique. Cet été, j’ai bénéficié d’une terrasse, donc j’ai pu compenser le manque à gagner, mais là on ne peut plus faire manger les gens dehors avec ce temps. Et si je ne trouve pas de solution, cela va faire 30 % de salariés en moins…

Selon vous, on est toujours sur une tendance de l’ordre de 30 à 40 % d’établissements qui pourraient mettre la clé sous la porte ?

Oui, parce que va bientôt arriver le remboursement des reports de charge, et les frais fixes continuent. J’avais dit qu’on allait vers 30 % de faillite et 250.000 chômeurs supplémentaires, il y a eu 140.000 chômeurs en plus dans le secteur sur le premier semestre, donc c’est la tendance. Et cela risque d’arriver plus vite qu’on ne le pense.

Il y a quand même des mesures d’accompagnement qui sont proposées aux professionnels en difficulté ?

C’est quoi, des reports de charge, des prêts ? Il va falloir le payer tout ça. Quant au fonds de soutien, tout le monde ne le perçoit pas, il faut rentrer dans les cases. Maintenant, c’est à nos syndicats de faire remonter nos revendications, parce que là, on est en train de se noyer, et on nous enfonce la tête sous l’eau.

Mais n’y a-t-il pas quand même un problème avec certains établissements qui ne jouent pas le jeu des règles sanitaires, ce qui au final retombe sur tout le monde ?

Il y a un problème de discipline, on est bien d’accord, mais de tout le monde, pas que des restaurateurs. Il y a une poignée de professionnels qui ne font pas respecter les gestes barrières, ceux-là doivent être pénalisés. Mais c’est une minorité et tout le monde n’a pas à payer pour ceux-là !

Vous pensez qu’il n’y a pas assez de contrôles dans les établissements ?

Il n’y en pas assez c’est évident. Vous avez vu cet été sur le bassin et sur la côte ? C’était la foire à neuneu ! C’était n’importe quoi, avec des bars qui se substituaient aux boîtes de nuit. Vous imaginez, vous êtes patron de boîte de nuit, on vous fait fermer depuis le 14 mars jusqu’à nouvel ordre, et à côté de ça il y a des mecs qui dansent sur les bars tout l’été ? Il y a de quoi péter un câble, ce n’est pas normal. Et aujourd’hui on subit les conséquences de ce qui s’est passé cet été. Voilà.

Qu’est-ce que vous reprochez aux mesures gouvernementales, qu’elles soient trop générales, qu’elles soient prises sans concertation ?

Moi, je ne reproche pas au gouvernement de prendre des mesures. Mais il ne prend pas les bonnes, c’est tout. Chez nous, c’est cadré, ce qui n’est pas le cas dans les trains, les transports urbains, les supermarchés, les écoles, les cantines scolaires… On va fermer les cantines scolaires ?

A Bordeaux, pour le moment les restaurants sont épargnés, mais les bars vont devoir fermer à 22 h, que pensez-vous de cette mesure ?

Ceux qui ont envie de faire la fête quand même sortiront à côté, c’est une évidence. Tous les bars ne sont pas des bars festifs, certains servent des consommations assis, font respecter les gestes barrières, pourquoi empêche-t-on ceux-là de travailler ? On ne peut pas mettre tout le monde dans le même panier.