Violences conjugales : Après des années d'attente, les premiers bracelets anti-rapprochement déployés
VIOLENCES CONJUGALES•Le dispositif, qui entre en vigueur vendredi, sera d’abord déployé dans cinq juridictions avant d’être étendu dans toute la FranceCaroline Politi
L'essentiel
- Neuf mois après son adoption définitive au parlement, le bracelet anti-rapprochement pour tenir éloigner les conjoints violents entre en application vendredi.
- Ce projet a fait l'objet de nombreux atermoiements depuis une dizaine d'années en France alors qu'il a fait ses preuves en Espagne.
- La juridiction de Pontoise a porté ce projet depuis plusieurs années.
Rarement une mesure avait suscité une telle attente, tant auprès des associations qui viennent en aide aux femmes victimes de violences qu’auprès des magistrats. A partir de vendredi, le bracelet anti-rapprochement, destiné à tenir éloigner les femmes de leur conjoint ou ex-conjoint violent, pourra être ordonné dans cinq juridictions : Pontoise, Bobigny, Angoulême, Douai et Aix-en-Provence.
Dès la fin de l’année, ce dispositif sera généralisé sur l’ensemble du territoire. Avec un objectif clair : enrayer l’augmentation des féminicides. 146 meurtres de femmes commis par le conjoint ou ex-conjoint ont été recensés l’an dernier, 25 de plus que l’année précédente.
Un long cheminement
L’idée n’est pourtant pas nouvelle. Le dispositif électronique anti-rapprochement – Depar – est inscrit dans la loi depuis 2009, amendé en 2017, mais jamais utilisé faute de décret d'application. Une première expérimentation avait également été initiée en 2012-2013 dans trois départements. Expérimentation qui avait tourné car les critères particulièrement restrictifs fixés à l’époque excluaient la plupart des conjoints violents. De l’autre côté des Pyrénées, le bracelet électronique, en vigueur depuis 2009, a pourtant fait ses preuves : 1.100 bracelets sont actuellement actifs en Espagne ce qui aurait entraîné, selon les autorités, une chute de 40 % des meurtres conjugaux. Et aucun crime n’a été commis sur des femmes équipées d’un tel dispositif.
Le choix du Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, d’inaugurer le bracelet anti-rapprochement lors d’un déplacement à Pontoise ne doit rien au hasard. Après l’abandon de la première expérimentation, la présidente du tribunal, Gwenola Joly-Coz et le procureur de cette même juridiction, Eric Corbaux reprennent ce projet dès 2017. Depuis des mois, ils se sont portés volontaires auprès de la Chancellerie pour tester ce dispositif. Tous deux dressent le même constat : malgré l’utilisation des outils à leur disposition – notamment le téléphone grave danger qui permet d’avertir les forces de l’ordre en pressant un bouton que son conjoint est à proximité et les ordonnances de protection – le nombre de meurtres ou de tentatives de meurtres commis par un conjoint ou ex-conjoint reste dramatiquement stable. L’an dernier, quatre femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint dans ce département de la grande couronne parisienne.
« Le problème du téléphone grave danger c’est qu’on ne l’active que lorsqu’on voit son agresseur à proximité, expliquait l’an dernier à 20 Minutes, Eric Corbaux. Le bracelet permettrait d’apporter un niveau de protection supplémentaire puisque la victime serait avertie dès que le périmètre de sécurité n’est plus respecté. » Après des années d’atermoiements, cette disposition a finalement été définitivement adopté en décembre dernier au Parlement. « Le déploiement des bracelets anti-rapprochement s’inscrit dans un cadre de réflexion globale sur la lutte contre les violences faites aux femmes. C’est un outil supplémentaire pour les magistrats, en complément des téléphones grave danger », explique-t-on au ministère de la Justice, rappelant par ailleurs que ces 1.100 de ces téléphones étaient actuellement attribués, contre seulement 300 l’an dernier.
Comment ça marche ?
Un millier de bracelets sont d’ores et déjà disponibles. Ils peuvent être délivrés dans un cadre pénal, comme une mesure de contrôle judiciaire dans l’attente d’un procès ou en lien avec une peine, mais également, chose nouvelle, dans un cadre civil, par un juge aux affaires familiales dans le cadre d’une ordonnance de protection. De ce cas néanmoins, le consentement de l’auteur présumé des violences est nécessaire, en vertu de la présomption d’innocence. Une fois le dispositif déclenché, la victime se voit remettre, dès sa sortie du tribunal, un boîtier pour la géolocaliser. L’auteur des violences reçoit un boîtier semblable et est équipé d’un bracelet électronique.
Chaque magistrat établit ensuite, en fonction du dossier mais également de la géographie des lieux une zone d’alerte – entre un et dix kilomètres autour de la victime – et une zone de pré-alerte – entre deux et vingt kilomètres. Si le conjoint violent pénètre dans la zone de pré-alerte, il reçoit deux appels pour l’avertir. S’il poursuit vers la zone d’alerte, la victime de violences est orientée pour se mettre en sécurité et les forces de l’ordre sont averties. L’équipage le plus proche se détourne vers la zone d’alerte, cette alarme étant jugée prioritaire. Le magistrat est ensuite informé de la situation et peut prendre les décisions nécessaires. Au-delà de la sanction directe, les autorités espèrent un effet dissuasif de la mesure. « Il ne faut pas sous-estimer le poids psychologique du bracelet sur celui qui le porte », insiste-t-on à la Chancellerie.