Exode urbain : « La campagne est un espace d’ouverture et de dialogue qui n’existe plus en ville »
INTERVIEW•Installée depuis dix ans dans la campagne bretonne, Claire Desmares-Poirier sort « L’exode urbain : Manifeste pour une ruralité positive », un livre dans lequel elle raconte son expérience et donne ses conseils pour bien réussir sa mise au vertPropos recueillis par Jérôme Gicquel
L'essentiel
- Installée en Bretagne depuis dix ans, Claire Desmares-Poirier sort un livre dans lequel elle lance un appel pour quitter la ville et rejoindre la campagne.
- A travers son expérience, elle donne ses conseils pour bien réussir sa mise au vert.
- Elle estime que l’emploi ne doit pas être un frein à ce changement de vie.
Quitter la ville pour se mettre au vert. Fuir la pollution pour retrouver l’air pur de la campagne ou de la montagne. Beaucoup d’urbains rêvent de s’exiler et la période de confinement n’a fait qu’accentuer cette tendance. Selon une étude de Cadremploi publiée fin août, 83 % des cadres parisiens interrogés envisagent ainsi de quitter la capitale. Alors certes tous les urbains ne fuiront pas la ville. Mais certains ont déjà sauté le pas. Et bien avant la crise comme Claire Desmares-Poirier. Celle qui se présente comme « une activiste de la ruralité positive » s’est installée il y a dix ans à Sixt-sur-Aff, petite commune à la frontière du Morbihan et de l’Ille-et-Vilaine.
Travaillant comme conseillère en communication politique, elle a quitté Lille pour s’installer en famille dans une ferme où elle produit des plantes aromatiques et médicinales et tient un café-librairie. Elle partage son expérience dans le livre L’exode urbain : Manifeste pour une ruralité positive (éditions Terre Vivante) dans lequel elle invite les urbains à s’interroger sur leur vie. Avec l’ambition non feinte de les faire quitter définitivement la ville.
Quel a été le déclic pour vous pour quitter la ville ?
C’est d’abord une rencontre avec mon compagnon lors d’un camp Action Climat. Mais j’y pensais déjà avant car je ne me sentais plus trop en cohérence avec les idées et les valeurs qui m’animaient. Pour moi, s’installer à la campagne a été un acte militant mais je suis bien consciente que ce n’est pas la motivation première de tout le monde.
Qu’est-ce qui anime justement ces candidats à l’exode urbain ?
C’est la prise de conscience que l’on est vulnérable en ville et qu’elles sont des machines à broyer. La ville aujourd’hui, ce n’est pas de l’emploi mais de la concurrence et du chômage. Il y a aussi le prix du foncier. On ne peut pas y construire une famille, avoir un espace de travail si l’on est en indépendant ou en libéral. Pour réaliser ce qui leur tient vraiment à cœur, personnellement et collectivement, et envisager l’avenir sans trop d’angoisse, les gens se décident donc à partir.
A ceux qui hésitent, quels conseils leur donneriez-vous ?
Il faut d’abord que ce soit un choix de vivre à la campagne et que ce ne soit pas vécu comme une contrainte. Mais pour cela, il faut pouvoir bouleverser la hiérarchie de ses priorités. On ne vient pas à la campagne pour gagner des millions mais pour un équilibre et une qualité de vie, des moments de joie et de bonheur au quotidien. Autant de choses que la ville ne propose pas et qui ne s’achètent pas.
Le choix du lieu d’installation est également important. Comment ne pas se planter ?
Il faut d’abord être capable d’identifier ses besoins et s’interroger : Où j’ai envie d’aller ? De quel espace ai-je besoin ? En vendant leur appartement en ville, beaucoup rêvent d’une grande maison individuelle à la campagne. Mais il faut après être capable de la chauffer, de l’entretenir ou de la rénover. On peut très bien vivre dans une tiny-house et avoir plein d’espace en extérieur. Pour le lieu après, c’est très personnel. Le choix peut se faire en fonction des origines ou des amitiés que la personne a dans telle ou telle région ou si elle apprécie tel ou tel paysage. Mais ce choix n’est pas définitif et on peut très bien s’installer dans un endroit puis déménager dans un autre. Comme en ville en fait.
Pour beaucoup, l’emploi reste quand même un frein à ce changement de vie…
Certes, mais il faut aussi avoir en tête que s’installer à la campagne ne veut pas forcément dire changer de travail. Il y a plein d’outils maintenant, comme le télétravail, qui permettent de poursuivre son activité à distance. Il y a aussi moyen de trouver un emploi salarié et qualifié à la campagne. Il est faux de penser que tous les emplois sont en ville et qu’il n’y a que des emplois agricoles à la campagne. Et puis, il est aussi possible de changer de métier en se demandant s’il y a des besoins particuliers dans le territoire où l’on vit. Si oui, a-t-on les compétences pour y répondre ? Si ce n’est pas le cas, comment est-ce que je peux les acquérir en me formant ? C’est une manière totalement différente de vivre sa relation à l’emploi.
Une fois installé, comment s’adapte-t-on à la vie locale ?
Il faut d’abord apprendre à connaître l’espace dans lequel on vit. Il y a des espaces de sociabilisation comme partout, comme les clubs sportifs, les associations ou les fêtes de village. La différence avec la ville, c’est qu’on aura à la campagne des relations sociales beaucoup moins électives. On ne fréquentera pas forcément des personnes qui ont le même cadre de vie et les mêmes opinions politiques. Les relations sont également plus intergénérationnelles. Mais c’est justement ça qui fait toute la richesse. La campagne est un espace d’ouverture et de dialogue comme il n’en existe plus en ville. Ici, on sait qu’on dépend tous les uns des autres pour faire vivre le territoire. On préfère donc miser sur ce qui nous rapproche plutôt que ce qui nous divise.