Coronavirus : « Les enfants s’infectent rarement et lorsqu’ils s’infectent, ce n’est pas grave »
INTERVIEW•Christèle Gras-Le Guen, secrétaire générale de la Société française de pédiatrie et cheffe du service des urgences pédiatriques du CHU de Nantes, fait le point sur le virus et les enfantsPropos recueillis par Frédéric Brenon
L'essentiel
- Les mesures barrière et la distanciation doivent concerner surtout les adultes, assure Christèle Gras-Le Guen.
- Selon la secrétaire générale de la Société française de pédiatrie, « il ne faut pas qu’on se retrouve dans une situation où on doit faire subir aux enfants un test par mois voire par semaine »
- Et un enfant positif ne justifie pas une fermeture de classe, un second non plus, affirme la cheffe du service des urgences pédiatriques du CHU de Nantes
Contagion, masques, fermeture de classes… Les interrogations étaient encore nombreuses dans les conversations des parents et enseignants, mardi, à l’occasion de la rentrée scolaire. Leurs affirmations concernant le Covid-19 et l’enfant demeurent d'ailleurs parfois contradictoires. 20 Minutes est allé interroger Christèle Gras-Leguen, secrétaire générale de la Société française de pédiatrie et chef du service des urgences pédiatriques du CHU de Nantes, afin de faire le point.
Le Covid-19 est-il dangereux pour les enfants ?
C’est une maladie qu’on connaît de mieux en mieux, certainement mieux qu’au moment du confinement. Et ce que l’on sait, c’est que ce virus concerne vraiment très peu les enfants. Il y a deux aspects à ça. Le premier : la proportion d’enfants infectés est très faible par rapport aux adultes, autour de 1 à 5 % parmi les cas positifs. Le second : lorsque les enfants s’infectent, ils font des formes bénignes dans l’immense majorité des cas. Près de la moitié n’ont même pas de symptômes. Donc ils s’infectent rarement et lorsqu’ils s’infectent, ce n’est pas grave. Ce sont des données confirmées par tous les pays concernés par cette pandémie.
L’âge augmente-il le risque ?
C’est l’une des originalités de cette maladie : les nouveau-nés s’infectent très très peu, les nourrissons très peu, les enfants jusqu’à 10-11 ans, c’est rare. Et puis, ensuite, à partir de l’adolescence, il y a un continuum progressif jusqu’à l’âge adulte. Plus on se rapproche de l’âge adulte, plus on est susceptible d’attraper le virus et d’en développer une forme symptomatique. C’est un constat qui nous arrange bien puisque ça correspond grosso modo à l’organisation scolaire avec les collèges et lycées. Pour autant, il n’y a quasiment pas de forme grave chez l’ado. Les formes graves, rappelons-le, ça reste les sujets âgés et les adultes ayant des comorbidités.
Les enfants souffrant de maladies chroniques présentent-ils un risque accru ?
Au contraire de l’adulte, on n’a pas constaté un lien direct entre des pathologies chroniques [obésité, diabète, asthme…] et le développement de la maladie. C’est difficile d’établir une règle générale, car on a eu très peu de cas d’enfants positifs, mais, pour l’instant, on n’a pas d’inquiétude particulière pour un profil de patient particulier. C’est quelque chose de très étonnant car on sait, par exemple, que pour la grippe, les pathologies chroniques prédisposent à des formes sévères de la maladie. On a sollicité plusieurs sociétés savantes, des spécialistes en pédiatrie. Toutes préconisent que l’ensemble des enfants fassent leur retour à l’école.
Il se disait pourtant, au début du confinement, que les enfants pouvaient être les principaux transmetteurs du virus ?
Ça ne s’est pas du tout confirmé. On a pensé ça parce que le Covid était nouveau et c’est ce qui se passait avec la grippe. Or, définitivement, ça n’a rien à voir avec la grippe. Et, malheureusement, cette idée d’enfants transmetteurs persiste comme une idée reçue. Les informations récoltées depuis, lors de l’étude des clusters notamment, démontrent que l’enfant est très peu en cause dans les contaminations. Un enseignant a plus de risque de contaminer un élève que l’inverse.
Et la maladie de Kawasaki ? Y a-t-il un lien avec le Covid-19 ?
On a observé à un moment que le coronavirus pouvait générer, plusieurs semaines après l’infection, un syndrome post-infectieux semblable au syndrome de Kawasaki qui, d’habitude, touche surtout les plus jeunes. Une fois qu’on a diagnostiqué le Kawasaki, il y a un traitement qui a très bien fonctionné dans l’immense majorité des cas. Aujourd’hui, on sait que ça existe, on est en alerte, on saura vite diagnostiquer un éventuel Kawasaki et administrer le traitement. Mais ça reste marginal : on parle de 200 cas, à comparer avec les 275.000 cas de Covid en France.
Mais alors, est-il pertinent de maintenir une distanciation sociale et des gestes barrière entre enfants dans la cour, dans les clubs de sport, dans les associations ?
On comprend évidemment le principe de précaution, mais il faut éviter les mesures de distanciation qui peuvent être stressantes pour l’enfant, contraires au déroulement d’une journée normale, et qui ne s’appuient pas sur des données scientifiques. Les mesures barrière et la distanciation doivent concerner surtout les adultes. Il faut que les enfants puissent reprendre une vie d’enfant, qu’ils jouent entre eux, qu’ils interagissent entre eux, sans que ça génère d’inquiétude excessive de la part de leurs encadrants ou de leurs parents. Je constate que ces derniers sont encore très inquiets alors qu’on aurait dû être en mesure de les rassurer beaucoup plus tôt.
Dans certains pays européens, le masque est obligatoire à l’école bien avant l’âge de 11 ans. Dans d’autres, il n’est pas imposé aux ados. Pourquoi ces différences ?
Je ne saurai pas justifier les choix des pays étrangers. Pour la France, le choix de 11 ans suit des préconisations basées sur une lecture scientifique la plus précise possible et sur ce qui paraît, à nous pédiatres, rationnel. L’important était de trouver un compromis entre les données scientifiques et la faisabilité du port du masque. Bien entendu, il faudra rester vigilant sur l’épidémiologie et être capable d’adapter les mesures, dans un sens ou dans l’autre, le moment venu.
Faudra-t-il tester tous les élèves présentant des symptômes ?
Nous recommandons le test à partir de 6 ans, s’il n’y a pas de signe évident d’une autre maladie. Avec l’hiver, les virus (bronchiolite, grippe, gastro, rhino…) vont revenir, c’est sûr, et, à chaque fois, on va se poser la question de savoir si ce n’est pas le Covid. On sait, par exemple, qu’un enfant en crèche fait en moyenne de la fièvre quatre à six fois dans l’hiver. Il ne faut pas qu’on se retrouve dans une situation où on doit faire subir aux enfants un test par mois voire par semaine. On recommande aussi de faire vacciner les enfants de plus de 6 mois contre la grippe car les symptômes peuvent être confondus avec ceux du coronavirus. Au passage, il y a une dizaine d’enfants en France qui meurent de la grippe chaque hiver et le vaccin est très peu utilisé.
Faut-il fermer la classe dès l’apparition d’un cas positif ?
On sait que la plupart des enfants positifs sont contaminés dans leur milieu familial et qu’ils se contaminent peu entre eux. On considère donc qu’un enfant positif ne justifie pas une fermeture de classe, un second non plus. Au-delà, oui. Notre vraie inquiétude, c’est que les enfants vivent une seconde année scolaire tronquée, avec des fermetures et des réouvertures. Il faut vraiment que cette année soit la plus stable possible.
Vous insistez énormément sur l’importance de l’école…
Il y a l’aspect connaissances, d’autant plus importantes quand il y a des inégalités sociales. Mais il y a aussi le bien-être : un enfant doit jouer, être avec ses amis, être insouciant. Il faut donner aux enfants un cadre de vie qui soit un cadre d’enfant et non pas un cadre de crise. Ils doivent reprendre leur vie d’enfant. J’espère que ce sera le cas. Beaucoup d’enseignants nous ont envoyé des messages très rassurants.
A l’inverse, des professionnels de santé ont publié récemment une tribune réclamant des mesures plus restrictives dans les écoles…
Cette tribune nous a beaucoup étonnés car aucun médecin ni soignant d’enfant ne fait partie des auteurs, aucun rationnel scientifique n’est présenté. On ne comprend pas sur quoi reposent leurs inquiétudes ni leurs recommandations. Ce qu’il ne faudrait pas, c’est qu’il y ait plusieurs discours et des initiatives de chefs d’établissement ou d’élus qui fassent qu’on se retrouve dans une cacophonie.
Peut-on encore avoir des surprises avec ce coronavirus ?
Oui. C’est une maladie nouvelle. On la connaît de mieux en mieux. Mais il faudrait être fou pour considérer qu’on la maîtrise de façon parfaite. Il faut rester en alerte.