Coronavirus : Faut-il rendre le masque gratuit à l'école ?
EDUCATION NATIONALE•L’Etat doit-il prendre en charge le coût des masques obligatoires à l’école ? Pour l’instant, le gouvernement s’y refuse, suscitant de vifs débatsJean-Loup Delmas
L'essentiel
- En France, le gouvernement a tranché : le masque sera obligatoire à l’école pour tous les enfants d’au moins 11 ans.
- A l’approche de la rentrée, se pose la question du coût. L’Etat refuse de mettre la main à la poche, provoquant le débat et l’indignation.
En plus d’un classeur rouge de 34 centimètres sur 22 avec des intercalaires jaunes obligatoires et un critérium dont la mine casse dès la première semaine de cours, les parents des écoliers de France ont vu un rajout de taille dans leur liste de fourniture pour la rentrée : des masques, et en nombre conséquent puisqu’ils seront obligatoires chaque journée de cours pour les enfants de plus de 11 ans.
Le débat n’a pas mis longtemps à émerger : vu le coût d’un masque, est-ce une simple fourniture au même titre que le rapporteur ou les crayons de couleur arc-en-ciel ou l’Etat ne peut-il pas mettre la main à la poche en finançant les masques obligatoires pour les écoliers ? Malgré les demandes d’élus de tous bords (du républicain Eric Ciotti aux insoumis), le gouvernement s’est montré plutôt clair là-dessus, Emmanuel Macron annonçant que le contribuable français n’avait pas à payer pour les masques de chacun.
Equité et efficacité en berne
Une annonce ferme comme il sait si bien les lancer à la volée, mais largement insuffisante pour éteindre le débat. Surtout quand la Suisse voisine offre des masques à ses élèves par exemple. Tout comme la région parisienne, les Hauts-de-France ou encore la Seine-Saint-Denis qui a annoncé sa décision ce mardi. Pour Frédérique Rolet, porte-parole du SNES-FSU (Syndicat national des enseignements de second degré), il faut rendre le masque gratuit dans les classes. « Sinon on va créer une iniquité énorme entre les familles selon le revenu, là où l’école publique est censée représenter l’égalité des chances. » Elle balaie à ce propos d’un revers l’argument avancé par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education, à savoir que l’augmentation de l’allocation rentrée 2020 servira à payer les masques : « J’étais très surprise de ce discours. Les masques n’ont pas vocation à être reconduits les années suivantes, alors que l’augmentation de l’allocation rentrée si. On va à nouveau la diminuer une fois les masques rendus caducs ? »
Pour rappel, l’Association nationale de consommateurs et usagers a estimé que, pour une famille de taille moyenne, la dépense mensuelle en masques chirurgicaux « peut monter jusqu’à 228 euros ». Avec une telle facture, Frédérique Rolet s’inquiète d’une inefficacité des masques mal utilisés. On a tous et toutes dans notre entourage, quand ce n’est pas nous-mêmes, des gens qui réutilisent leur masque éphémère – censé durer quatre heures – plusieurs jours de suite, quand ce ne sont pas des masques partagés entre plusieurs personnes ou même bricolés. « Si on soutient que les masques durent quatre heures, ça fait trois masques par enfant et par jour. Avec un tel coût, on redoute des possibles détournements ou une mauvaise utilisation pour diminuer les frais. La seule façon de s’assurer que les masques sont correctement portés, et donc de limiter l’épidémie, c’est de les rendre gratuits », soutient-elle.
Débat historique
Mais pourquoi exiger qu’ils soient gratuits plus à l’école qu’ailleurs – même si des revendications pour des masques sans coût partout existent ? Historiquement, la demande n’est pas nouvelle se remémore pour nous Claude Lelièvre, historien de l’éducation : « Initialement, Jules Ferry a seulement supprimé le coût les enseignants, c’est ensuite que se sont peu à peu posées les questions des fournitures, des manuels – aujourd’hui pris en charge par les collectivités territoriales –, de la cantine, etc. La gratuité de tout ce qui entoure l’école publique en France revient fréquemment en débat depuis les années 1880 et l’instruction obligatoire. »
Des discussions toujours remises sur la table à cause d’une incompréhension historique selon Claude Lelièvre : « Il y a une confusion entre l’école obligatoire et l’école gratuite. On fantasme sur une école obligatoire, gratuite, laïque comme l’un de nos actuels fondements, alors que c’est l’instruction qui est obligatoire – et non la scolarisation, et que cette dernière a toujours eu un coût pour les particuliers. » Cette demande de gratuité des masques s’inscrit donc dans une tendance bien plus vaste : « Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas le faire, se défend l’historien qui reste neutre devant nous sur la question. Seulement, l’école a déjà montré qu’elle pouvait rendre de nombreuses choses obligatoires en son sein sans les financer. »