La crise du coronavirus a-t-elle affaibli Jean-Michel Blanquer à la veille d’un probable remaniement ?
EDUCATION•A quelques jours d’un possible remaniement, le locataire de la rue de Grenelle ne semble pas menacé dans ses fonctions, malgré sa perte d’aura ces derniers moisDelphine Bancaud
L'essentiel
- La crise du coronavirus a placé Jean-Michel Blanquer en première ligne.
- Propos hâtifs, décisions parfois éloignées du terrain, manque de préparation… Son action a été loin de faire l’unanimité.
- Mais le ministre de l’Education devrait rester au gouvernement, car il garde la considération d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe et semble difficilement remplaçable dans le contexte politique et social tendu de la rentrée.
Lundi dernier, c’était le jour du satisfecit pour Jean-Michel Blanquer. Invité sur France Inter, le ministre vantait la reprise massive de la classe pour les élèves et les collégiens. « La France est l’un des pays qui fait le plus en matière de déconfinement scolaire. Pour moi, c’était un enjeu majeur », déclarait-il. « Je suis heureux d’avoir obtenu ce résultat », insistait-il. Une manière pour le ministre de clouer le bec à ses détracteurs, lui reprochant sa gestion hésitante du volant éducatif de la crise sanitaire.
Les premières critiques sont arrivées vite. Le 12 mars, Jean-Michel Blanquer déclare, lors d’un déplacement à Poitiers : « Il n’y aura pas de fermeture généralisée des écoles en France comme on a pu le voir dans d’autres pays d’Europe ». Une affirmation qui a volé en éclat dès le soir même, Emmanuel Macron annonçant le confinement et la fermeture de tous les établissements sine die. Laissant l’impression au mieux d’un ministre minimisant l’épidémie, au pire d’un homme tenu à l’écart des décisions relatives à son propre ministère. « Dans cette séquence, il n’a clairement pas été dans le premier cercle de décision », souligne Julien Cahon, historien de l’éducation à l’université de Picardie Jules Verne. Mais pour le linguiste Alain Bentolila, qui se présente comme un visiteur du soir du ministre, Jean-Michel Blanquer a surtout voulu faire preuve de prudence au début de la crise sanitaire : « Symboliquement, le fait de fermer les établissements était très fort. Sans compter les conséquences pédagogiques, sociales et économiques d’une telle décision. Il était légitime de sa part de vouloir retarder la décision ».
« Il a été pris à son jeu de surexposition médiatique »
Un premier couac gouvernemental qui ouvre le bal d’une longue série. Jean-Michel Blanquer évoque ensuite dans Le Parisien la date du 4 mai comme scénario privilégié pour la réouverture des établissements. Elle n’aura lieu finalement que le 11 mai. Le 21 avril, le ministre annonce les détails du plan de déconfinement dans les écoles à l’Assemblée nationale alors que les arbitrages n’ont pas été faits. Matignon s’étrangle. Une semaine plus tard, Édouard Philippe présente des modalités de déconfinement qui contredisent les annonces du ministre. « Les enjeux imposaient des décisions interministérielles. Et il a eu du mal à peser sur les arbitrages. Or, il était habitué à être le seul maître à bord rue de Grenelle », analyse Alexis Torchet, secrétaire national du Sgen-CFDT. Les déclarations imprudentes de Jean-Michel Blanquer lui valent des recadrages discrets ou pas. « Sa gestion de la crise a été erratique. Certes, il a été tributaire des incertitudes scientifiques sur le coronavirus, mais il a été incapable de donner un cap aux enseignants et aux parents d’élèves. Il a d’ailleurs écopé de fortes critiques dans la presse du directeur de cabinet d’Edouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas », souligne Julien Cahon. Sa méthode pour rouvrir les écoles lui vaut même des critiques du Sénat dans un rapport au vitriol sorti en avril, qui parle d'« improvisation ». Une dureté de ton peu habituelle de la part des sénateurs vis-à-vis du locataire de la rue de Grenelle.
Les critiques sont d’autant plus virulentes à son encontre que Jean-Michel Blanquer n’a pas modéré sa parole pendant le confinement ni après. Désireux de montrer qu’il y avait un pilote dans l’avion, il a occupé l’espace médiatique. Peut-être un peu trop. « Il a été pris à son jeu de surexposition médiatique. Ce qui l’a conduit à se contredire ou à brouiller les messages », observe Julien Cahon. Et à force de parler, on peut finir par dire des énormités, comme ce 11 mai sur Europe 1, où le ministre assure qu' « il y a plus de risques à rester chez soi qu’à aller à l’école ». Ce qui provoque un tollé immédiat, y compris chez les parents d’élèves. « D’ailleurs, sa cote de popularité est plus basse chez les Français en âge d’être parents d’élèves. Selon le baromètre Ifop-Fiducial pour Paris Match et Sud Radio du mois de juin, 20 % des 25-34 ans ont une opinion favorable de lui, et 35 % des 35-49 ans. Ce qui montre qu’ils sont plus critiques par rapport à sa gestion de la crise sanitaire que l’ensemble des Français, auprès desquels il recueille 39 % d’opinions favorables », indique Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop,
La classe à distance à l’épreuve de la réalité
Mais c’est sans conteste avec les enseignants que le ministre a perdu le plus de points lors de cette crise. Trois semaines avant la fermeture des établissements, il présente avec assurance son dispositif de continuité pédagogique, s’appuyant principalement sur la plateforme du Cned. « On est préparé pour déclencher de l’enseignement à distance massif », se risque-t-il le 26 février sur France Inter. Mais les premiers jours du confinement lui donnent tort. Le site du Cned est saturé ainsi que les sites de gestion de vie scolaire comme Pronote, via lesquels les élèves doivent récupérer leurs devoirs. La plupart des enseignants n’étaient pas formés à faire classe à distance.
Le ministre n’a pas anticipé non plus le manque d’équipement numérique de beaucoup de familles, obstacle majeur à l’école à distance. « La continuité pédagogique a été assurée par les enseignants et les directeurs d’école qui ont fait du mieux avec les moyens du bord, souvent en appelant les familles. Ce sont les acteurs de terrain qui ont fait face à la crise, car le pilotage par le haut n’a pas fonctionné », fustige Alexis Torchet. Les injonctions ministérielles très mouvantes en cette période, et parfois même contradictoires, ont aussi éreinté les équipes pédagogiques : « Le côté techno de Jean-Michel Blanquer a pris le dessus et il s’est parfois montré déconnecté de certaines réalités de terrain », analyse Julien Cahon.
« Rouvrir les écoles, c’était un pari risqué, mais il n’en a pas démordu »
Autre grief des profs à son encontre : « Il a commis l’erreur de décider que la reprise de la classe se ferait dans un premier temps sur la base du volontariat. C’est un mauvais signal pour les élèves décrocheurs qui ont été confortés dans leur réticence face à l’école », souligne Alain Bentolila. Quant aux rapports du ministre avec les syndicats enseignants, ils se sont visiblement tendus au fil de ses annonces : « Avant cette crise, le climat de défiance entre les enseignants et le ministre existait déjà en raison de la contestation des E3C, de la réforme des retraites. Mais la crise a eu un effet accélérateur et leurs relations semblent être arrivées à un point de non-retour », estime l’historien.
Reste que Jean-Michel Blanquer n’est pas homme à courber l’échine. Il est même persuadé que l’Histoire ne retiendra de cette période que son obstination à rouvrir les établissements coûte que coûte avant les vacances d’été, croit Alain Bentolia : « Symboliquement, il fallait faire revenir les élèves en classe, même pour très peu de temps. Et l’on se souviendra qu’il a bien géré globalement la crise dans un contexte très compliqué, avec des positions scientifiques fluctuantes et des pressions politiques ». Et les fins observateurs de la vie politique pourraient aussi saluer un certain courage chez Jean-Michel Blanquer : « Rouvrir les écoles, c’était à coup sûr un pari risqué, mais il n’en a pas démordu », estime Julien Cahon. « Le ministre a porté l’idée que l’école avait un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de la société. Et la reprise de la classe en présentiel a montré qu’il a été finalement entendu par l’Elysée et Matignon. Et les retours massifs des élèves en classe montrent bien que la demande sociale sur ce sujet était réelle », renchérit Alexis Torchet.
« Un limogeage aurait un effet délétère »
Sûr de son action, le ministre ne semble d’ailleurs pas redouter le remaniement qui se dessine. Pourtant, Jean-Michel Blanquer a déjà passé trois ans rue de Grenelle. « Et l’Education nationale n’est pas un ministère où l’on reste. Seul François Bayrou y est demeuré plus de quatre ans », rappelle Julien Cahon. Mais même si sa cote de popularité s’est effritée, elle reste confortable : « Il est le 4e ministre préféré des Français après Le Maire, Le Drian et Véran. Avec 39 % (+3 %) d’opinions favorables en juin, il est bien positionné pour rester dans le gouvernement », estime Frédéric Dabi. Et malgré ses sorties de route des derniers mois, il reste un poids lourd du gouvernement, estime Alain Bentolila : « Emmanuel Macron et Edouard Philippe lui font toujours confiance. Et il est toujours très apprécié par Brigitte Macron ».
Certes, il n’est pas issu du sérail politique et la crise actuelle a pu l’isoler davantage au sein de gouvernement, mais pour Frédéric Dabi, ce n’est pas un obstacle : « Il n’a pas beaucoup d’appuis politiques, mais ce n’est pas un handicap. D’autant qu’il répond toujours au souhait d’Emmanuel Macron de plébisciter les ministres experts. Par ailleurs, on va entrer dans une période de crispation sociale et c’est un ministre qui paraît solide pour affronter la tempête ». « Pour certains, il est à gauche, pour d’autres à droite. C’est un atout. Car il n’est pas courtisan et ne se livre pas à des alliances opportunistes », abonde Alain Bentolia. En outre, lui trouver un remplaçant serait difficile, selon Alexis Torchet « Qui veut aujourd’hui prendre les rênes du ministère de l’Education nationale ? Les personnalités politiques ne s’y intéressent pas et c’est un ministère réputé très difficile à piloter. D’autant plus dans ce contexte. Et un limogeage aurait un effet délétère, ce serait un aveu d’échec de la politique éducative du gouvernement », indique-t-il.
Une rentrée brûlante
S’il est confirmé au gouvernement, la rentrée ne sera pas pour autant un chemin parsemé de roses pour Jean-Michel Blanquer : « Il va devoir rassurer les parents et mettre en place des dispositifs permettant aux élèves de rattraper leur retard », prévoit Alain Bentolila.
Et pour retisser un lien avec les enseignants, un changement de méthode sera nécessaire, estime Julien Cahon : « Il faut en finir avec une communication trop verticale avec les enseignants. Il faut leur donner des signes d’ouverture en aménageant les E3C, en avançant sur le dossier de la rémunération des profs », assure-t-il.