Confinement : Entre bonheur et paradoxes, comment les Français ont-ils vécu cette période inédite ?
CRISE•Grâce à une étude d’ampleur nationale, trois chercheurs de l’université de Pau analysent comment les Français ont vécu la période inédite du confinementMarion Pignot
L'essentiel
- Trois chercheurs de l’université de Pau ont lancé une grande enquête en trois volets sur les Français et le confinement lié à l’épidémie de Covid-19. Le questionnaire est à remplir en ligne.
- Yann Bruna, Gaelle Deletraz et Evelyne Barthou tentent de comprendre comment les Français ont accueilli et vécu cette période inédite et si les décisions prises pendant ces deux mois seront suivies d’effets sur le long terme.
- Le trio d’enseignants-chercheurs a déjà reçu plus de 8.500 réponses. Un succès inattendu qui leur permet aujourd’hui d’affirmer que, malgré des différences de vécu, selon l’âge, la catégorie socio-professionnelle et le genre des personnes interrogées, ce confinement a été propice à l’introspection et au changement de vie.
«Les personnes interrogées nous disent toutes avoir ressenti une grande privation des libertés mais, paradoxalement, d’avoir enfin eu la maîtrise du temps et… plus de libertés. » Avec ses collègues chercheurs de l’université de Pau et des pays de l’Adour (Uppa), Yann Bruna et Gaelle Deletraz, la sociologue Evelyne Barthou se penche depuis le début du confinement sur l’impact de cette période inédite sur la vie des Français. Le premier bilan est simple : ces 55 jours sous cloche ont fait naître « des contradictions » chez la plupart des 8.500 répondants.
Tous ont pris le temps de participer à l’étude lancée en ligne le 1er avril par le trio de chercheurs, soutenu par quatre stagiaires privés d’expérience de terrain. « On ne s’attendait pas à un tel succès, mais les Français avaient besoin de parler, explique à 20 Minutes Evelyne Barthou. Certains nous ont remerciés de leur avoir permis de prendre de la distance avec ce qu’ils étaient en train de vivre. »
« Voir si les postures défendues pendant le confinement seront respectées »
Le trio de sociologues analyse donc des milliers de questionnaires, dont seuls 45 % proviennent de la Nouvelle-Aquitaine. Le reste couvrant la France, « sauf certains départements rouges », souligne Evelyne Barthou. Le panel, également plus féminin que masculin, sera donc redressé, afin de mieux coller à la population des confinés. Le premier volet « impact du confinement » terminé, les sociologues ont entamé celui sur le déconfinement (le questionnaire est disponible ici et sur la page d’accueil de l'Uppa). Dans près de six mois, le troisième round, soit « la comparaison sur le long terme », sera lancé. « Nous allons tenter de voir si les postures défendues pendant le confinement, comme celles de moins prendre l’avion ou de plus profiter de sa famille, seront suivies d’effets », détaille Evelyne Barthou.
En attendant, ouvriers, professeurs, femmes au foyer, étudiantes ou cadres supérieurs se rejoignent dans le vécu. Même si le confinement n’a évidemment pas été la même expérience pour « deux étudiantes habitant un 20 m2 sur leur campus que pour les jeunes ayant pu rejoindre la résidence de leurs parents ». « Il y a forcément des exceptions. Des femmes nous ont assurés, par exemple, que leur charge mentale avait été moins importante alors que d'autres études ont montré le contraire. Mais dans l’ensemble ce confinement a révélé cette tension entre ce ressenti négatif lié à la privation de libertés et à la sensation d’isolement et celui très positif d’une décélération, d’un relâchement du stress, d’un temps propice à l’introspection », explique Evelyne Barthou.
« La France ne se réveille pas pacifiée. »
Les répondants habitant des quartiers prioritaires ont pu utiliser « d’autres mots », conçoit l’universitaire, mais la réalité est la même du quartier populaire bordelais des Aubiers aux rives privilégiées de la Garonne. « Par nature, l’enquête en ligne affiche un biais, le panel étant marqué par des personnes diplômées, mais les vécus sont similaires. Nos répondants ont majoritairement évoqué cette contradiction entre grande angoisse et période d’accalmie, ajoute Evelyne Barthou. Rien n’est tout blanc ou tout noir mais dans la plupart des cas cette situation inédite a provoqué une rupture, un changement de comportement. »
Nombreux sont les sondés à avoir découvert le télétravail (45 %), de nouvelles activités sportives ou culturelles et un rythme de travail moins soutenu (48 %). D’autres ont apprécié perdre moins de temps dans les transports ou choisi de moins consommer. Beaucoup d’hommes ont aimé davantage s’occuper de leurs enfants. « Le confinement va laisser des traces. Les Français qui ont goûté à une autre vie ont besoin de changements, analyse Evelyne Barthou. On le note déjà avec ce déconfinement qui n’est pas de tout repos [ manifestations contre le racisme, mobilisation des personnels soignants, etc.]. La France s’est endormie très en colère et elle ne se réveille pas pacifiée. »