Racisme dans la police : Pas de « déni » mais des « amalgames » injustes, témoignent des policiers
VOUS TEMOIGNEZ•Plusieurs policiers qui ont accepté de témoigner pour « 20Minutes » sur la thématique du racisme dénoncent des « dérives individuelles » et disent souffrir des accusations qui visent l’ensemble de la profession
Hélène Sergent
L'essentiel
- Selon le ministre de l’Intérieur, « une trentaine d’enquêtes judiciaires ont été engagées contre des policiers sur des propos racistes ».
- Si la majorité des policiers interrogés par 20 Minutes ne nient pas l’existence du phénomène au sein de la profession, ils réfutent le caractère « systémique » et « institutionnel » du racisme dans leurs rangs.
- Ils regrettent le manque de formation à ce sujet et se disent tous touchés et blessés par les accusations formulées à l’égard de toute leur profession.
Depuis plusieurs semaines, la « maison police » tangue. Les révélations dans la presse d’affaires mettant en cause des gardiens de la paix accusés de racisme et la mobilisation grandissante dans les rassemblements organisés dans les grandes villes de France ont poussé le ministre de l’Intérieur et l’exécutif à réagir. Lors d’une conférence de presse organisée lundi, Christophe Castaner a appelé à la plus grande « fermeté » souhaitant désormais une suspension administrative systématique en cas de « soupçon avéré de racisme ».
À cause du devoir de réserve qui leur est imposé, la parole des policiers se fait rare. Comment les forces de l’ordre vivent-elles cette période et quel regard portent-elles sur la lutte contre le racisme engagé dans leur profession ? 20 Minutes a pu recueillir les témoignages de six fonctionnaires en poste. Si tous n’ont pas fait l’expérience du racisme, plusieurs affirment avoir été témoins de comportements ou propos discriminants.
« Du racisme, il y en a »
À 35 ans, Jean*, fonctionnaire au sein d’une unité de police judiciaire, dresse le constat suivant : « Oui, il y a des violences et du racisme. Je ne crois pas qu’on puisse encore se réfugier derrière l’argument qui consiste à dire qu’il s’agit du seul fait de personnes isolées. Même si je pense que c’est le cas et qu’il n’y a, à mon sens, rien de systémique, cet argument est devenu inaudible pour la population », déplore le policier. Selon lui, la séquence politique et médiatique oblige désormais la profession « à une profonde remise en question ».
Affecté en région parisienne depuis plus d’une dizaine d’années, Vincent, 42 ans, abonde : « Certains propos dévoilés dans la presse sont indéfendables. Du racisme, il y en a. Quand j’ai commencé ma carrière, certains collègues plus âgés - dont certains avaient des proches mobilisés lors de la guerre d’Algérie – ne se cachaient pas pour faire des amalgames, » Mais, à l’image de la société, la profession a évolué insiste-t-il : « Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais c’est une minorité ».
Fabien*, policier de 40 ans, lui est plus sévère et estime que l’institution porte une responsabilité dans les comportements révélés récemment : « Je vis mal toutes ces affaires car je ne me reconnais pas dans cette police qui discrimine. Mais la lutte contre le racisme est d’une hypocrisie honteuse car certains propos sont émis et relayés à tous les échelons hiérarchiques, y compris médiatiquement par certains représentants syndicaux ». En 2017, les propos tenus par un syndicaliste SGP-FO lors d’une émission de télé, qui avait jugé l’insulte « bamboula » comme « à peu près convenable », avaient suscité un tollé.
Comme Fabien, Sylvain*, jeune gardien de la paix de 23 ans appelle à l’exemplarité et salue les annonces du ministre de l’Intérieur : « J’attends des sanctions exemplaires contre les collègues violents et racistes. Ces "collègues" – je mets des guillemets car je n’arrive pas à les considérer comme des collègues - salissent notre uniforme. Je pense qu’il y a encore trop de racisme décomplexé, alimenté par une "loi du silence". Car si on dénonce, on prend le risque de se mettre à dos les autres collègues du service et on s’expose à une mutation. »
Des généralités qui blessent
S’ils refusent de nier les dérives de certains fonctionnaires, tous se disent « blessés » par les soupçons de racisme systématique au sein des services. Entré dans la police nationale il y a seize ans, Gabriel* vit « mal » les dernières affaires et les accusations qui « entachent » sa profession : « Il y a des amalgames, c’est stigmatisant et ça fait mal. Je suis favorable à la transparence. Ceux qui n’ont rien à se reprocher n’auront rien à opposer à la généralisation des caméras-piétons. Et j’invite tous les gens qui estiment que l’ensemble de la profession est raciste et violente à venir passer une journée en immersion avec nous pour voir la réalité de notre travail. »
Conscient de l’enjeu de la lutte contre le racisme, Jean juge toutefois le procès fait à sa profession « injuste » : « Il n’est pas révélateur de l’action quotidienne que nous menons. » Un sentiment partagé par Florent*, 23 ans, tout juste sorti de l’école de police : « Certaines personnes – qui ne méritent pas d’être policiers ou gendarmes - ne sont pas respectueuses. Mais salir une profession dans son intégralité me paraît complètement injuste et me révolte au plus profond de moi-même ! »
Formation et exemplarité
Parmi les témoignages recueillis par 20 Minutes, un autre constat se dessine : aucun des fonctionnaires dit avoir reçu de formation dédiée à ces sujets en dehors de celles dispensées pendant leur formation initiale en école de police. Une carence que souhaite combler le ministre de l’Intérieur puisqu’il a annoncé lundi la mise en place d'une formation de lutte contre les discriminations.
Vincent valide également l’idée d’une réforme de l’IGPN, la police des polices, également annoncée également par Christophe Castaner : « Même si l’on est l’une des professions les plus surveillées et les plus contrôlées, une réforme s’impose, estime le fonctionnaire. Aujourd’hui, quand vous êtes un bon enquêteur, vous n’avez aucune envie d’aller à l’IPGN, c’est rarement un choix de carrière. Il faut changer ça et leur donner peut-être plus d’indépendance ou peut-être rattacher ces fonctionnaires au ministère de la Justice ».
Jean prône l’exemplarité dans les actions des policiers de terrain : « Ça passe par la façon de se présenter, de se comporter, par l’usage du vouvoiement. Même si ce n’est pas toujours évident au regard de nos conditions de travail et de nos missions parfois violentes et difficiles, c’est comme ça qu’on pourra regagner la confiance d’une partie de la population ». Un constat partagé par Gabriel, qui conclut : « Voilà ce que je dis systématiquement aux plus jeunes qui rejoignent ma brigade : "Si vous voulez être respectés, soyez respectables" ».
*Les prénoms ont été modifiés