Forces de l’ordre : 85 % des Français en ont une « image positive » selon une enquête mais la méthodologie interroge
SONDAGE•Le ministère de l’Intérieur a publié ce dimanche les résultats complets d’une enquête menée en 2019 sur « la qualité du lien entre la population et les forces de sécurité intérieure »Hélène Sergent
L'essentiel
- Le 3 juin dernier devant les sénateurs, le ministre de l’Intérieur a mis en avant un chiffre issu d’une récente enquête commandée par la Place Beauvau selon laquelle 84,9 % des personnes interrogées ont une « image positive » des forces de sécurité intérieure (police et gendarmerie).
- Les résultats complets de cette enquête à la méthodologie particulière ont été publiés ce dimanche 7 juin.
- Si plusieurs enquêtes et sondages menés ces dernières années font effectivement état d’une image plutôt positive au sein de la population, d’importantes variations existent en fonction de la catégorie de population interrogée et de l’expérience vécue par ces personnes.
C’est une publication qui tombe à pic. Secouée par plusieurs accusations de racisme en son sein et fustigée lors des récentes manifestations en soutien à la famille d'Adama Traoré mort en 2016 après une interpellation, l’institution policière traverse aujourd’hui une crise d’ampleur. Ce dimanche 7 juin, le ministère de l’Intérieur a mis en ligne les résultats d'une enquête nationale « sur la qualité du lien entre population et force de sécurité intérieure ». Et les chiffres publiés – et mis en avant par Christophe Castaner dès jeudi – sont dithyrambiques.
Selon cette enquête intitulée EQP19 commandée par la Place Beauvau et menée entre 2018 et 2019 par le pôle enquête de l’université Savoie Mont-Blanc avec l’appui de l’Ecole nationale supérieure de police, 84,9 % des personnes interrogées ont une « image positive » des forces de sécurité intérieure (policiers et gendarmes). Et 82 % jugent leur comportement « professionnel » lors de leurs interventions. Des chiffres certes rassurants pour la « maison police » mais qui méritent d’être contextualisés.
Des résultats positifs
Contrairement à ce qu’a indiqué au Sénat le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, ce n’est pas 48.134 personnes qui ont répondu (il s’agit en réalité du nombre de « contacts » lancés pour participer à l’enquête) mais 12.822 personnes âgées de 18 ans ou plus réparties sur l’ensemble du territoire.
Au-delà de l’image positive de l’institution et du caractère « professionnel » reconnu par les répondants aux interventions des policiers et gendarmes, « une majorité forte semble réfuter le caractère uniquement répressif de leurs fonctions (62 %) » et « souligne leur rôle constructif (70 %) et leur contribution positive à l’amélioration de la vie quotidienne (77.5 %) ».
Une méthodologie particulière
Mais la méthodologie de cette enquête nationale mérite d’être détaillée. Aucun des participants n’a été tiré au sort comme c’est parfois le cas lors d’enquêtes sociologiques. Pour participer, les enquêtés devaient se connecter à un site dédié, imprimer et remplir un coupon puis le déposer dans un commissariat de police ou une gendarmerie.
Il s’agit donc de « répondants volontaires » informés soit grâce aux 8.000 affiches diffusées dans divers lieux publics et services de police, soit contactés par des policiers (DCPP ou référent police-population) directement lors d’opérations menées dans des centres commerciaux, par exemple.
« Un biais majeur », estime le directeur de recherche au CNRS Sebastian Roché, spécialiste de la police mais réfuté par le codirecteur du pôle enquête de l’université Savoie Mont-Blanc, Stéphane Daubignard. Selon lui, cette interaction avec les policiers concernait uniquement la démarche d’inscription à l’enquête. « Ils n’ont évidemment pas mené les questionnaires », précise-t-il. Et il ajoute : « Cette enquête est un outil de recherche qui vise à améliorer la qualité de service des forces de sécurité auprès des citoyens. Notre objectif n’était pas de dire “85 % de gens sont satisfaits par la police” mais de dégager des pistes de travail et d’amélioration du lien entre citoyen et policiers ou gendarmes », explique-t-il à 20 Minutes.
Des contrastes importants
Ces résultats méritent également d’être mis en perspective avec d’autres études – nombreuses – publiées ces dix dernières années en France sur le lien entretenu entre les citoyens et les forces de sécurité intérieure.
En 2017, le défenseur des droits révélait les résultats de son enquête dédiée aux relations « police-population » portant plus spécifiquement sur les contrôles d’identité. Là encore, l’enquête mettait en évidence des relations satisfaisantes entre la population et les forces de l’ordre puisque 82 % de la population interrogée disait « faire confiance à la police ». En parallèle, 84 % des personnes interrogées déclaraient ne jamais avoir été contrôlées par les forces de l’ordre lors des cinq dernières années.
En revanche l’étude pointait que les jeunes de 18-25 ans déclaraient sept fois plus de contrôles que l’ensemble de la population et « les hommes perçus comme noirs ou arabes apparaissent cinq fois plus concernés par des contrôles fréquents ». Parmi eux, 40 % rapportaient avoir été tutoyés, 21 % insultés et 20 % brutalisés lors du dernier contrôle.
Une autre étude de référence sur le sujet, l’enquête sociale européenne, menée dans 27 pays européens entre 2010 et 2011, montrait des résultats plus contrastés encore. La France se classait à l’époque 13e sur 20 pour les opinions positives à la suite d'un contact à l’initiative de la police et 19e sur 26 pour le traitement respectueux des personnes. Au total, 35 % des Français pensaient que – d’après leur expérience – la police traitait « sans aucun respect » le public auquel elle a à faire.
En 2013 enfin, une autre étude menée par Sebastian Roché auprès de 13.500 adolescents dont les classes avaient été tirées au sort à Lyon et Grenoble pointait des perceptions bien différentes de l’étude EQP19. Ainsi, 40 % d’enquêtés déclaraient que « les policiers ou les gendarmes font souvent ou très souvent des contrôles abusifs » et la même proportion considérait les forces de l’ordre comme étant « racistes ».
Un contact déterminant
Dans cette enquête nationale relayée ce dimanche par le ministère de l’Intérieur, 75 % des répondants disent avoir été « en contact » avec les forces de l’ordre, « soit dans leurs locaux, soit par téléphone ». En revanche, la nature de ce contact – était-ce lors d’un dépôt de plainte ? D’une interpellation ? D’un contrôle d’identité ? – n’est pas précisée dans l’étude.
Une précision pourtant jugée essentielle par le directeur de recherche au CNRS, Sebastian Roché : « Sur les questions floues qui renvoient aux besoins des fonctions de police, il y a toujours une majorité d’avis positifs. Les citoyens reconnaissent la valeur des missions de police mais les questions qui portent sur l’action précise de la police génèrent souvent des réponses bien plus contrastées. » Il poursuit :
« Ce qui ressort, c’est que plus les gens sont en contact avec la police, moins ils sont satisfaits de la police. » »
Stéphane Daubignard, codirecteur du pôle enquête de l’université Savoie Mont-Blanc, insiste désormais : « On va tirer tous les enseignements de cette première vague pour améliorer la seconde. Ce travail était une phase quantitative ouverte à un grand nombre de personnes avec des questions fermées. Une des pistes envisagées pour la suite est d’engager une phase plus qualitative avec un nombre de répondants plus réduit et des questions plus ouvertes pour dégager de nouveaux enseignements. »