REPORTAGEPourquoi le Covid-19 infiltre-t-il autant les abattoirs ?

Coronavirus : « On est à touche-touche sur les lignes de production »... Pourquoi le Covid-19 infiltre-t-il autant les abattoirs ?

REPORTAGE« 20 Minutes » s’est rendu à l’abattoir Tradival, à Fleury-les-Aubrais (Loiret), où un foyer de contamination est apparu le week-end dernier
Julien Laloye

Julien Laloye

De notre envoyé spécial à Orléans (Loiret),

L’endroit est relativement facile à trouver à partir du Leclerc taille Gulliver de Fleury-les-Aubrais. Pour qui s’attendait à un monstre tentaculaire avec des dizaines de bâtiments disséminés de partout, l’abattoir Tradival de la banlieue d’Orléans semble presque recroquevillé sur lui-même, quand on l’observe depuis l’entrée principale. Il faut dire que les lieux sont calmes. L’entreprise n’a pas eu d’autre choix que de couper les moteurs après la découverte d’un foyer de contamination à l’atelier découpe, 54 salariés positifs lundi soir, sur près de 230 dépistages. Les plus courageux arrivent à vélo sur la piste cyclable grossièrement tracée à la peinture verte à même le trottoir, mais à l’entrée, c’est surtout le bal des voitures pour se faire tester.

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« On essaie d’être irréprochables sur les gestes barrières »

Tous les salariés doivent passer l’épreuve redoutée de l’écouvillon à l’assaut de la fosse nasale. Quelques-uns, souvent les pus jeunes, jouent les fiers-à-bras. « Aucun stress pour moi, je n’ai pas peur de mourir », souffle Jordan, trois mois de taf « aux congélos ». Dans le monde des abattoirs, on ne se croise pas plus que ça entre les différents secteurs d’activité. La découpe avec la découpe, la salaison avec la salaison, et ainsi de suite. Alors personne ne se fait trop la conversation dans la petite queue d’une vingtaine de personnes qui s’est formée à l’intérieur de l’enceinte, où une équipe du CHR d’Orléans procède aux examens. Trois infirmières qui ne vont pas beaucoup lambiner. A la fin de la journée, elles auront réalisé plus de 150 tests. « Ça avançait vite, alors on en a rajouté un peu, plaisante Anne Gravier, coordinatrice des équipes mobiles du Covid-19. Les gens sont en demande, ils attendent le dépistage avec impatience ».

« Les gens sont assez sereins, avance Michel-Archange, recruté au mois de décembre. Il faut reconnaître que l’entreprise a pris beaucoup de dispositions depuis le début de l’épidémie pour nous protéger. On a des gants, des masques, du gel hydroalcoolique, je ne comprends pas comment le virus est rentré. Moi je pense que quelqu’un a attrapé ça à l’extérieur, c’est pas possible autrement. L’homme a tout de même pris quelques précautions. Depuis qu’il a appris que l’épidémie sévissait à Tradival, il a préféré rester dormir chez son frère, actuellement en déplacement, pour ne pas risquer de contaminer sa famille. Christophe, lui, n’a pas été aussi prévoyant, malgré le siège bébé dans sa voiture. « Je bosse à la préparation des commandes. On a tout le matériel nécessaire, on met des combinaisons intégrales, on essaie d’être irréprochables sur les gestes barrières. Après, on ne peut pas savoir comment les gens vivent à l’extérieur ». Il retournera auprès de sa femme enceinte attendre le verdict. Un SMS s’il est négatif, un appel du service infectiologie de l’hôpital s’il est positif. Derrière lui, une voiture de la protection civile ramène la première fournée de tests au département d’infectiologie du CHR.

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400 salariés et sous-traitants dépistés avant mardi soir

On sent dans la tonalité générale du discours l’envie d’épargner l’entreprise, puisque c’est encore le meilleur moyen de s’éviter des problèmes. On aurait bien demandé son avis au directeur du site qui emploie plus de 400 salariés, mais ce dernier n'a pas souhaité répondre aux médias depuis le début de la crise. On se contentera donc du communiqué publié lundi soir tard par Sicarev, la maison mère, dans lequel le groupe « assure avoir mis en place des mesures sanitaires renforcées les plus strictes afin de permettre aux collaborateurs et aux prestataires de travailler en toute sécurité, de protéger leur santé et de continuer ainsi à participer à l'approvisionnement du circuit de distribution ».

L’ARS du département n’a pas souhaité charger la barque non plus, évoquant « un protocole qui semble avoir été respecté », malgré un passif chargé. L’atelier de transformation, par exemple, ne transforme plus rien depuis la détection en novembre dernier d’une possible infection à la listeria sur les langues de porcs. Malgré plusieurs opérations de désinfection, la Direction départementale de la protection des populations du Loiret (DDPP), présente sur site, n’a toujours pas autorisé l’activité à reprendre. « C’est un abattoir qui se caractérise par son obsolescence », souligne Pierre Pouëssel, le préfet de la région Centre - Val de Loire. Un plan de modernisation de 15 millions d’euros avait d’ailleurs été validé par la Préfecture quelques jours avant le début du confinement.

La malédiction des abattoirs

Il semblerait néanmoins que la thèse du vilain petit canard ne tienne pas, au vu de l’épidémie dans l’épidémie. En plus des exemples français, ce sont désormais plusieurs dizaines d’abattoirs dans le monde qui ont été infiltrés par ce satané virus. En Allemagne, où le Covid-19 a été beaucoup mieux maîtrisé, un foyer a récemment démarré dans le canton de Segeberg avec plus de 260 cas de contamination. Aux Etats-Unis, 115 abattoirs ont été officiellement touchés depuis la fin mars, et 30 personnes sont mortes, dont quatre fonctionnaires du ministère de l’Agriculture, selon l’organisation représentant les salariés du gouvernement dans le pays.

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Dans ses explications, le ministère de la Santé américain a évoqué la difficulté de maintenir la distanciation physique du fait de la taille des ateliers et du principe de production, quand la température, presque systématiquement en dessous des dix degrés, favoriserait la diffusion du virus par aérosols. « C’est sûr qu’on est à touche-touche sur les lignes sinon on serait obligés de mettre la tête dans la machine, témoignent Isabelle et Adeline, les deux seules voix en dehors des clous à l’entrée de Tradival. Elles disent souffrir de maux de tête et en veulent à l’entreprise de ne pas avoir arrêté les frais dès le mercredi, quand les premiers cas ont été connus. J’espère qu’on n’a pas chopé ce truc. Nous, on met les viandes en barquette, ça va à peu près, mais ceux qui découpent la carcasse, ce n’est pas la même histoire ».

« On n’aurait pas pu être beaucoup plus réactifs »

La découpe ou le désossage, les deux métiers les mieux rémunérés de l’abattoir, selon plusieurs salariés, sont aussi les plus exigeants et les plus fatigants. Ce sont souvent les travailleurs étrangers qui s’y collent, en France comme en Allemagne, où la contamination des abattoirs est partie des lieux d’habitation des ouvriers détachés, souvent exigus et surpeuplés. « Des gens durs au mal qui ont l’habitude d’avoir des rhumes ou des infections respiratoires dans leur environnement de travail et qui ne s'inquètent pas plus que ça », résume Thierry Prazuck, chef des maladies infectieuses du CHR d’Orléans, qui a vu énormément de travailleurs d’Europe de l’Est parmi les premiers cas positifs. Une donnée qui complique encore un peu plus la tâche de traçage des contacts.

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Le spécialiste estime toutefois que ses équipes auraient difficilement pu être plus rapides dans la gestion des contacts. Le centre de prélèvement, situé dans des Algeco à l’extérieur de l’hôpital, a tourné tout le dimanche pour tester les fameuses personnes contact des 22 premiers employés positifs. « On a été avertis vendredi midi et à 15 heures on dépistait sur site, se félicite Anne Gravier. On n’aurait pas pu être beaucoup plus réactifs, et ça vaut pour tous les maillons de la chaîne, y compris l’entreprise qui a eu une prise de conscience pertinente très rapidement ».

« Aucune alerte sur la contamination de la viande »

L’ARS s’est de son côté voulu rassurante sur une hypothétique contamination de la nourriture. « Nous n’avons eu aucune alerte sur la contamination par les produits carnés, assure Laurent Habert, son directeur général. On est sur de la contamination directe entre humains ». Juste en face de Tradival, la boucherie des abattoirs, qui vend directement aux particuliers, prend malgré tout bien soin de nous avertir : « Nous, on n’a rien à voir avec eux, on dépend d’un autre abattoir, notre viande ne vient pas de là, il n’y a aucun problème ».

Yannick, le dernier salarié que nous croisons, est un peu en retard pour se faire tester. Mais il est surtout venu pour désinfecter les frigos et charger la viande qui reste dans les camions et la livrer aux gros clients de la journée. « Sinon, ça se perd ». Tradival ne pourra pas rouvrir avant le 25 mai, comme toutes les crèches, écoles, et collèges de la ville, si le foyer est maîtrisé. On en est loin.