MOBILITELe vélo a la cote au point que les réparateurs peinent à suivre

Déconfinement : Le vélo a la cote au point que les réparateurs peinent à suivre

MOBILITEPneus, freins, dérailleurs… Les réparateurs de cycles ne savent plus où donner de la tête depuis une semaine, et souvent pour les semaines à venir. De quoi freiner l’engouement pour la petite reine en cette période de déconfinement ?
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Bon nombre de magasins de cycles, en France, ont rouvert dès la semaine dernière pour anticiper un pic d’activité au sortir du confinement. Ça n’a pas suffi : l’activité repart en trombe cette semaine, au point que ça bouchonne dans les ateliers de réparation.
  • Un signe que la petite reine a, comme attendu, la cote en cette période de déconfinement, bien aidée par le « coup de pouce vélo » mis en place par le gouvernement, qui offre un forfait de 50 euros pour remettre en état sa bicyclette.
  • Ces embouteillages dans les boutiques de cycle pourraient-ils freiner l’essor du vélo ces prochaines semaines ? Pierre Serne, président du Club des villes et territoires cyclables, comme Jérôme Valentin, de l’Union sport et cycle, espèrent un désengorgement rapide.

«Désolé, on ne va pas avoir beaucoup le temps de vous parler… », prévient-on d’emblée à « Cycle sport urbain ». Pourtant, ce lundi, en fin de matinée, la petite boutique de vente et réparation de cycles, nichée avenue d’Italie (Paris 13e), ne faisait pas le plein de clients.

« Mais, les mails, ça n’arrête pas, j’en ai encore une quarantaine en attente de réponse », confie Pierre, cogérant du magasin. Juste derrière lui, dans l’atelier, s’affairent deux mécaniciens la tête dans le guidon.

« Du jamais-vu dans le monde du vélo »

Il reste Axel, cogérant également, et qui se chargeait ce lundi d’accueillir les clients à l’entrée du magasin. Le temps de sa pause clope, il prend quelques minutes pour bavarder. « Du jamais-vu », évoque-t-il pour qualifier l’effervescence dans la boutique ces derniers jours. Le calme relatif ce lundi matin est trompeur, explique-t-il. « Nous avons ouvert dès le 5 mai pour anticiper un trop fort pic de fréquentation les premiers jours du déconfinement. Et la semaine dernière, la file d’attente devant le magasin débordait largement sur la rue. » Au point même que « Cycle sport urbain » a revu temporairement ses horaires et l’organisation du travail. « Nous fermons désormais la boutique à 14h30, pour que toute l’équipe puisse se consacrer intégralement aux réparations des vélos », reprend Alex.

De quoi passer en revue une vingtaine de cycles par jour. Malgré tout, le délai d’attente avant de pouvoir récupérer son vélo réparé restait de cinq jours ce lundi matin. Ça peut être beaucoup plus. Le magasin Culture Vélo de l’avenue Daumesnil (12e) – le plus grand de la capitale en termes de surface de vente dédiée au vélo – est d’ores et déjà plein pour les trois semaines à venir, raconte Jean-Olivier Lasserre, son directeur. Lui aussi parle d’une situation jamais vue auparavant. « On avait déjà constaté une première vague massive de demandes de vélos neufs, électriques et musculaires, lors du mouvement des "gilets jaunes", commence-t-il. Une deuxième en janvier, lors de la grève dans les transports en commun. Depuis dix jours, alors que les gens se préparent à un retour progressif au travail, on entre de plain-pied dans une nouvelle période de forte affluence. » Avec une particularité cette fois-ci : « On vend autant qu’on répare, reprend Jean-Olivier Lasserre. Les gens sortent de leur garage ou de leur cave leurs vieux vélos dont il faut revoir les pneus, les freins, le dérailleur. On en révise ainsi une quinzaine par jour. »

L’effet « coup de pouce vélo » ?

Un effet du « coup de pouce vélo » ? Ce plan, doté de 20 millions d’euros, a été mis en place par Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, sur les conseils de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), pour encourager la pratique chez les Français dans la perspective du déconfinement. L’un des trois volets est « la réparation », avec une offre de prise en charge jusqu’à 50 euros pour une remise en état, au sein du réseau des réparateurs références sur une plateforme gérée par la FUB. Frédéric Heran, économiste des transports et urbaniste, maître de conférences à l’Université de Lille, s’en félicite : « On a trop longtemps réduit les plans vélo aux seuls aménagements cyclables, explique-t-il. Ce "coup de pouce vélo" a d’intéressant qu’il se penche sur les autres facteurs à réunir pour augmenter la pratique du vélo sur un territoire et auxquels on pense rarement. Dont celui d’avoir un vélo en bon état. »

Reste que ce chèque de 50 euros ne fait pas tout, et l’engorgement des ateliers de réparation pourrait en décourager plus d’un. Comme Emmanuel, 48 ans, qui cherchait lundi à faire réparer les freins de son vélo à assistance électrique. Découragé par la longue file d’attente devant Décathlon, le Parisien s’est reporté sur « Cycle sport urbain », avant d’être refroidi par les cinq jours de délais. « Embêtant… Je vais sans doute devoir prendre ma voiture pour aller au travail, au moins les premiers jours », confiait-il en repartant en quête d’un magasin moins engorgé.

« Revenez la semaine prochaine »

L’embouteillage dans les ateliers de réparation est loin de se limiter à Paris. A Maisons-Alfort, Fontainebleau, Suresnes pour l’Ile-de-France, mais encore à Nice, Brest, Lyon, Bayonne, c’est souvent la même réponse qui fuse dans les ateliers de réparation contactés : « Essayez la semaine prochaine »… Voire parfois celle d’après. Et si vous voulez profiter du forfait de 50 euros du « coup de pouce vélo », « vous devez d’abord vous inscrire sur la plateforme et y accomplir les démarches, prévient-on à Fontainebleau et à Bayonne. Mais nos clients habituels seront prioritaires. »

De quoi freiner l’essor du vélo dans cette période de déconfinement ? Pierre Serne, président du Club des villes et territoires cyclables et à qui le gouvernement a confié la mission de favoriser les déplacements à vélo après le déconfinement, relativise. « Que les agendas des réparateurs soient pleins est une bonne nouvelle, commence-t-il. C’est bien le signe que nous sommes en train de gagner de nouveaux cyclistes. » Il espère par ailleurs que la plateforme « Coup de pouce vélo » jouera son rôle en répartissant le surplus d’activité entre les 3.000 réparateurs recensés en France. « Les gens ont souvent en tête les grandes chaînes de magasins de cycles à 500 mètres de chez eux, mais pas forcément la petite boutique qui n’est qu’à 300 mètres », estime-t-il.

Grand chamboulement dans les magasins de vélos ?

« Comme n’importe quel autre secteur économique dans pareille situation, les vélocystes s’adapteront rapidement à cet afflux de demande », assure Jérôme Valentin, président d’Union sport et cycle (USC), qui représente 1.400 entreprises et 3.000 points de vente. Ce redémarrage en trombe, après deux mois de fermeture imposés par le confinement, ne devrait pas permettre de sauver tous les magasins. Jérôme Valentin prédit des dépôts de bilan pour « 10 à 15 % d’entre eux », victimes du Covid. « Ceux qui vivotaient déjà avant la crise, précise-t-il. Mais un même nombre de magasins devrait aussi ouvrir leurs portes dans les douze prochains mois. »

Une restructuration du secteur qui pourrait permettre, à terme, de mieux répondre aux nouveaux usages de la bicyclette. « Ces dernières années déjà, nous avons vu émerger de plus en plus de boutiques spécialisées dans la maintenance et la réparation. Certaines même, comme Cyclofix, se rendent désormais au domicile des clients. Cette tendance devrait s’accélérer encore, ne serait-ce parce qu’il se vend beaucoup de vélos à assistance électrique (VAE) aujourd’hui [388.100 l’an dernier en France, indiquait l’USC début mai]. Or, ils ont besoin de plus d’ajustements et de révisions que les vélos musculaires. » Pierre Serne ne demande en tout cas qu’à rajouter des réparateurs sur la plateforme « Coup de pouce vélo ». « Trois milles sur toute la France, ce n’est pas énorme », lance-t-il.