FAKE OFFNon, un décret du gouvernement ne vient pas de « légaliser l’euthanasie »

Coronavirus : Non, un décret du gouvernement ne vient pas de « légaliser l’euthanasie »

FAKE OFFLes critiques fusent contre un décret accusé de « légaliser l’euthanasie » en permettant aux médecins de prescrire du Rivotril à certains patients atteints du Covid-19.
Alexis Orsini

Alexis Orsini

L'essentiel

  • L’euthanasie, interdite en France, aurait été légalisée en toute discrétion par un décret du gouvernement en date du 28 mars. Du moins si l’on en croit une accusation relayée sur les réseaux sociaux.
  • Celle-ci affirme en effet que la possibilité donnée aux médecins de recourir au médicament Rivotril pour des patients atteints du Covid-19 « dont l’état clinique le justifie » reviendrait à autoriser leur euthanasie.
  • Loin d’autoriser l’euthanasie de ces patients, le décret prévoit en réalité d’apaiser les souffrances de ceux qui ne feront pas l’objet d’une réanimation après décision collégiale. 20 Minutes fait le point avec plusieurs spécialistes.

Alors que le confinement se poursuit, en France, pour lutter contre l’épidémie de coronavirus, le gouvernement a-t-il adopté dans la plus grande discrétion un décret permettant d’euthanasier des personnes atteintes du Covid-19 ?

C’est ce qu’a affirmé le député (UDI) Meyer Habib dans un tweet publié le 2 avril : « On donne le permis légal d’euthanasier en France ! Décret du 28/03, le Rivotril, passeport pour la mort douce, est en prescription libre pour 15 jours […] C’est moralement insoutenable ! même pour soulager la souffrance. La vie c’est l’espoir ! J’écris à Olivier Véran ».

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Depuis, qu’il s’agisse de posts Facebook, de vidéos ou d’articles sur le blog de Mediapart, l’affirmation est reprise par de nombreux internautes dénonçant ce « scandale ».



Or, si un décret sur le Rivotril a bien été adopté le 28 mars, il ne légalise pas l’euthanasie, qui reste interdite en France – la dernière loi sur ce sujet, adoptée en 2016, prévoyant seulement un « droit à la sédation profonde et continue » pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme.

FAKE OFF

Le décret du 28 mars permet, jusqu'au 15 avril, « la dispensation du Rivotril par les pharmacies d’officine » uniquement pour les « patients atteints ou susceptibles d’être atteints par le virus SARS-CoV-2 dont l’état clinique le justifie sur présentation d’une ordonnance médicale portant la mention “Prescription Hors AMM dans le cadre du Covid-19”. »

Le texte précise en outre que le médecin délivrant cette ordonnance doit « se conforme [r] aux protocoles exceptionnels et transitoires relatifs, d’une part, à la prise en charge de la dyspnée [gêne respiratoire] et, d’autre part, à la prise en charge palliative de la détresse respiratoire, établis par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs [SFAP] et mis en ligne sur son site. »

« Le clonazépam (Rivotril) sous forme injectable est un produit nécessaire pour faire face à certaines situations critiques pouvant se présenter, comme la détresse respiratoire. Il est plus adapté que d’autres médicaments semblables comme le Valium », précise à 20 Minutes le professeur Claude Jeandel, président du Conseil national professionnel de gériatrie.

« Le Rivotril n’est pas du tout utilisé pour précipiter le décès »

« Sa mise à disposition par ce décret vise à apaiser la souffrance et l’angoisse des patients concernés. On fait appel à ses propriétés d’anxiolytique pour apaiser l’anxiété, ce n’est pas du tout pour précipiter le décès. Dès lors qu’on fait face à une situation de fin de vie, il améliore le confort de celle-ci », poursuit le spécialiste.

« Le Rivotril est un sédatif surtout connu pour le traitement des acouphènes que les médecins n’avaient plus le droit de prescrire sans l’accord d’un neurologue par crainte des dépendances possibles », ajoute Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des Médecins de France (FMF).

Sur son site, la Fédération des pharmaciens d’officine (FSPF) confirme que cette prescription désormais accessible à tout médecin vise uniquement « la prise en charge palliative des patients confrontés à un état asphyxique et ne pouvant être admis en réanimation ou pour lesquels une décision de limitation de traitements actifs a été prise ».

« La détresse respiratoire, c’est comme une noyade, c’est horrible à vivre et donne lieu à des moments d’atroce souffrance. Le Rivotril est un anxiolytique puissant de la famille du Lexomil, qui permet au patient en détresse respiratoire d’avoir un accompagnement pour enlever cette anxiété morbide. Ce n’est pas un médicament qui provoque la mort mais il permet d’éviter cette souffrance », abonde le président de la FSPF, Philippe Besset.

Contactée par 20 Minutes, la Direction générale de la Santé (DGS) confirme que le but du décret est « d’améliorer l’accompagnement des soins palliatifs, y compris hors des hôpitaux, en Ehpad par exemple, où les médecins n’avaient pas accès au Rivotril » et que sa prescription est prévue pour « permettre d’améliorer [la] fin de vie » des « patients pour lesquels une décision de limitation de traitements actifs a été prise ».

Des craintes soulevées sur le risque d’« une décision prise à titre individuel »

Si le texte du 28 mars définit donc bien le cadre restrictif dans lequel le Rivotril peut être utilisé en pleine épidémie de Covid-19, Jean-Paul Zerbib, président de l’Union Nationale des Médecins Salariés pour la CFE-CGC, souligne que « ce type de décret n’est pas habituel, d’autant plus dans un moment où l’on anticipe un nombre considérable de patients dont l’état va se détériorer. »

« Si l’état du patient est déjà extrêmement grave, [le recours au Rivotril] n’est pas de l’euthanasie. Mais le risque que pose ce décret, et la question qui est posée par certains, c’est de savoir si le décret ne risque pas d’organiser l’accompagnement vers la fin de vie pour des personnes ne pouvant être soignées par manque de place, généralement des personnes âgées ou en comorbidité ? Je ne le vois pas comme ça et je ne pense pas que les médecins qui seront confrontés à ces cas le verront comme ça », poursuit le spécialiste.

Avant de pointer du doigt les dérives qu’il redoute au cours de la situation sanitaire hors-norme traversée en ce moment : « Mais dans les unités de soins palliatifs, la décision d’accompagner vers la fin de vie par des sédatifs, les patients sans espoir d’amélioration est collégiale et toujours avec consultation de la famille, elle ne peut pas être prise seule. Le décret ne mentionne pas la famille, et ma crainte c’est qu’il laisse des médecins généralistes, le personnel en charge des soins à domicile pour personnes âgées dépendantes ou encore les médecins d’Ehpad seuls dans la prise de décision. Il faut associer les familles et que les médecins – débordés en ce moment – consultent des communautés de soignants pour éviter que la décision ne soit prise à titre individuel. »

« La décision est prise de manière anticipée et collégiale »

Toutefois, la collégialité de la décision fait bien partie des prérequis mentionnés dans les propositions de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs auxquelles renvoie le décret, comme le souligne auprès de 20 Minutes Frédéric Guirimand, professeur associé de médecine palliative et coauteur de ce document : « Ces fiches précisent bien que ces propositions concernent uniquement les patients pour lesquels une décision collégiale de limitation de traitement a été prise, excluant de les placer en réanimation. »

« Au vu de la situation, et du fait que les patients peuvent s’aggraver en quelques heures, avec risque d’asphyxie parfois très rapide, la décision ne peut pas être prise quand celle-ci survient. Elle est donc prise de manière anticipée et collégiale, par le médecin traitant avec le médecin coordinateur en Ehpad, avec si possible l’aide d’une équipe soins palliatifs ou gériatriques et la famille est évidemment consultée et informée à ce moment-là. Cela permet de s’assurer que l’infirmière a le médicament à disposition au moment où l’asphyxie survient, afin de l’administrer et d’éviter des souffrances au patient », poursuit Frédéric Guirimand.

Et le spécialiste de rappeler à son tour que « les patients en détresse respiratoire asphyxique concernés, vont décéder du Covid-19 : l’injection du Rivotril n’est pas du tout létale, elle permet juste d’éviter la perception insupportable de l’asphyxie. » De son côté, la Direction générale de la Santé souligne enfin que « l’accès [au Rivotril] sera couplé à un renfort de personnels pour en assurer la bonne utilisation ».