Coronavirus : « La situation est hors-de-contrôle », les hôpitaux franciliens au bord de la saturation
SANTE•Le seuil de saturation des hôpitaux franciliens pourrait être atteint dès ce week-end. Sur les 1.500 lits de réanimation disponibles en Ile-de-France, 1.297 étaient occupés jeudi soirCaroline Politi
Depuis quatre jours, le Pr Djillali Annane, à la tête du service de réanimation de l’hôpital Raymond Poincaré, à Garches, dans les Hauts-de-Seine, se voit contraint de refuser quotidiennement une dizaine de patients atteints du Covid-19. Les 26 lits de « réa » – onze de plus qu’en temps normal – sont pris. « Et dès qu’un lit se libère parce qu’on doit déplorer un décès [il y en a eu six dans le service sur la trentaine de patients traités], on a à peine le temps de changer les draps qu’il est déjà réattribué », se désole le chef de service. Ce vendredi matin, c’est une patiente de 37 ans, sans souci de santé majeur, qui a succombé à ce nouveau coronavirus. « C’est la pire catastrophe sanitaire de l’ère moderne, insiste le praticien. En Ile-de-France, la situation est hors-de-contrôle, on est dépassé. »
Pour l’heure, les patients refusés sont accueillis dans d’autres hôpitaux franciliens mais le seuil de saturation devrait être atteint au cours du week-end. En clair : jeudi soir, sur les 1.500 lits de réanimation disponibles dans la région, 1.297 étaient occupés. Or, le pic épidémique n’est toujours pas atteint et depuis mardi, la situation semble s’être emballée, les cas graves augmentant à toute allure. « Le nombre d’hospitalisation en réanimation, en augmentation constante, est particulièrement préoccupant », confie-t-on au sein de l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France. Si l’organisme espère atteindre 2.000 lits de réanimation à Paris et dans sa banlieue (contre 1.200 en temps normal) dans les jours à venir en mobilisant notamment le secteur privé, la situation sanitaire s’apparente de plus en plus à celle du Grand-Est. « On sera, dès ce week-end, dans une situation d’extrême tension, on voit que la ligne de flottaison est proche », reconnaît Frédéric Valletoux, le président de la fédération hospitalière de France.
« Délestage » dans d’autres régions voire pays ?
Pour faire face à cette situation et attendre que les premiers effets du confinement viennent « aplatir » cette fameuse courbe, le président de la fédération plaide pour un « délestage » – « je n’aime pas ce terme, mais il faut dire les choses telles qu’elles sont » – dans les régions qui, pour l’heure, ont encore des lits disponibles, principalement l’Ouest de la France. « Il faut faire jouer la solidarité nationale, voire européenne, c’est la seule manière de nous en sortir, insiste Frédéric Valletoux. Ces régions ont une semaine, parfois quinze jours de retard sur l’Ile-de-France. Lorsqu’elles seront à leur tour en situation épidémique, ces patients transférés seront sur le point de sortir de réanimation car la durée d’hospitalisation moyenne pour le Covid se situe autour de deux semaines. » Si l’ARS affirme étudier cette possibilité, pour l’heure, aucun transfert n’est programmé. « A ce jour, il y a encore de la capacité en Ile-de-France, nous devons continuer à prendre en charge les patients et ne pas peser sur les autres régions, qui elles aussi vont être confrontées à des hospitalisations massives », précise l’organisme.
A Garches, dix lits supplémentaires ont bien été équipés de respirateurs pour faire face à l’afflux massif de patients. Mais restent désespérément vides. Il manque 24 infirmiers et autant d’aides-soignants pour les ouvrir. « Ça fait des mois, des années, qu’on dit qu’il manque du personnel, que l’hôpital est en souffrance. C’est notre quotidien, mais dans une crise sanitaire comme celle-ci, c’est une catastrophe", insiste le Pr Djillali Annane qui affirme que d’autres hôpitaux de la région sont dans la même situation. Des lits mais personnes pour s’en occuper. Pour répondre à ce besoin urgent de soignants, l’ARS s’appuie sur les bonnes volontés. Près de 8.600 personnes se sont déjà inscrites sur la plateforme dédiée, dont 2.600 infirmiers, 2.100 aides-soignants et 1.500 médecins. Une partie a déjà été déployée mais certains hôpitaux, à l’instar de Raymond Poincaré, attendent toujours. « Ces renforts, on n’en a pas besoin dans 10 jours mais maintenant, si on veut faire face », s’agace le chef de service.
Vers un tri des patients ?
Reste une question : cette crise sanitaire pourrait-elle pousser les praticiens à mettre en place un tri de patients ? L’ARS d’Ile-de-France a publié la semaine dernière un document à destination des médecins "sur la décision ou non d’admission des patients en unités de réanimation ou de soins critiques dans un contexte d’épidémie de Covid-19". Dans le Grand-Est, des témoignages de soignants rapportent une saturation telle que certains patients considérés comme trop fragiles ont été écartés des soins intensifs au profit de plus jeunes. « En réanimation, nous avons l’habitude de discuter du bénéfice-risque à chaque admission car les traitements sont très lourds, relativise le Pr Djillali Annane. Covid ou pas, il faut s’interroger sur le fait que le patient supportera ces soins. La différence, c’est qu’on se posera la question bien plus souvent. »